José Bruffaerts       Ecrivain Public

 

 

Un  bouquet  inespéré

 
 

 

Encore deux jours et notre escapade en pays de langue d'oc appartiendra au passé ! 

          Alerte générale en Lozère, dans le Gard, l'Hérault et les Alpes après les intempéries du week-end.   Des pluies meurtrières s'abattent sur l'Europe.  Torrents d'eau, coups de vent d'une rare violence : le déluge annoncé a partout surpris par sa violence.    Voilà ce que titraient à la une les journaux en ce début de novembre 1994. 

Uzès, même époque. Malgré les avatars des jours précédents, il fallait se rendre à l'évidence que nous avions relativement bien retiré notre épingle du jeu puisque tous nos objectifs avaient été couronnés de succès.  Il ne restait qu’à gravir les pentes du Guidon du Bouquet pour réaliser le carton plein.

"L'aube pointait.  Le ciel était gris, de gros nuages roulaient, poussés par le vent  A l'horizon, le ciel et la terre se rejoignaient en une ligne floue couleur de boue.  Profitant d'un break des éclusiers célestes, on s'échappa en triple vitesse de l'hôtel et nous voilà à cette heure naviguant entre les flaques d'eau qui inondent la nationale en direction d'Alès.  Une route déserte se profile en montagnes russes.  Bientôt, l'éminence,  qui domine le plateau de garrigue noyé sous un linceul de brouillasse,  se dresse devant nous.  C'est le versant ouest, plus pentu que son vis-à-vis, qui a retenu nos suffrages.  Cette face présente un dénivelé de 460m en 4600m soit une moyenne de 10%.  Au moment précis où on s'élance du pied de l'obstacle, des trombes d'eau s'abattent sur la région qui nous obligent à nous réfugier dans un "routier".  Une auberge providentielle.  En tous les cas, si les cyclos n'ont pas de bon dieu, les soiffards en ont un !
L'horloge était sur le point de sonner la demi de 10 heures quand on commanda le premier crème et une pression. La pluie flagellait sans arrêt les fenêtres de l'établissement.  Une heure plus tard, la situation n'était pas meilleure.  Il eût été dément de mettre un pied dehors.  Les éléments nous auraient tabassés, chassés, écrasés, massacrés, voire balayés comme de vulgaires fétus de paille.  Que faire ?  Contre mauvaise fortune, on s'offrit à nouveau un crème et une pression.  Tant et si bien que les aiguilles de l'horloge s'installèrent dans la partie droite du quadrant.
Soudain, Dominique se lève de sa chaise et se dirige d'un pas décidé vers la salle de resto.  Instinctivement, je lui emboîte le pas et nous pénétrons  dans une pièce vide où crépite un feu ouvert.  Cette chaleur nous met du baume au cœur.

Un ange mouillé passa.
Il a à peine disparu qu'une compagnie de routiers prend possession des lieux.  En un tournemain ;  plus une place de libre.  Deux jeunes gars prennent place à nos côtés alors que nos entrées ne sont pas encore englouties.  La conversation s'engage sur-le-champ  sur mille et un sujets.  Et patati, et patata !  En veux-tu, en voilà !  Entre-temps, Dominique tente de venir à bout d'un cordon bleu  alors que pour ma part, je m'efforce de descendre une montagne d'escargots.  Des petits-gris. La salle s'anime.  Les commensaux donnent de la voix maintenant.  On s'apprête à faire la fête à un second litron quand tout à coup un de nos voisins pique la carafe et se sert une large rasade de pinard.  Un véritable frère de galère puisqu'il nous donne un sérieux coup de main dans notre entreprise de rinçage de dalle !
Tout à coup, le peuple disparaît aussi vite qu'il est apparu.  Pour nous consoler de la sinistrose qui ravage le bassin d'Alès, les routiers nous proposent un lift jusqu'à Orange.  Offre déclinée, il ne va sans dire !
L'horloge sonne none.  Le paysage repose sous un épais matelas de brume mais St Pierre s'est enfin résolu à fermer les vannes célestes.
En route.  Comme on se trouve au pied du mur, je mets d'emblée le tout à gauche.  Ripaille ou pas, peu importe !  C'est toujours le même Pavlov qui revient en cette circonstance.
A la sortie de Brouzet-les-Alès, le chemin se faufile entre les chênes verts et les buissons.  Une pente irrégulière, présentant quatre raidillons entrecoupés de quelques faux plats, grimpe pratiquement en ligne droite vers le sommet qui héberge un relais  de télécommunication. Comme le temps ne se prête guère à la contemplation, je fais demi-tour et passe à fond la caisse devant un Dominique médusé, le Leica à la main". 

Je n'y ai relevé aucun lacet.  La sensation de coincer a aussi été reléguée aux abonnés absents.
Moralité : "Descendez une montagne de gastéropodes, ceux-ci vous le rendront au centuple en vous donnant des ailes". 

Mon partenaire n'apprécia guère ma volte face qui, à cause de ma précipitation, nous écarta davantage de notre destination.  Il fallut embrayer sur le grand moulin pour revenir à Uzès.  A l'arraché ! Nos sacs récupérés,  on se mit à chasser le nez dans le guidon jusqu'à Remoulins.   Il était temps.  La nuit nous happait à l'entrée de la ville.

 

Automne 1994

 

bruffaertsjo@skynet.be

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