José Bruffaerts       Ecrivain Public

 

 

MEUSE-LORRAINE : une escapade au superlatif

 
 

 

 

Le « Camino de St Jacques », projet majeur de l’année 2007, capota en raison d’un événement tragique étranger à ma volonté.  Une escapade de courte durée et proche de la Belgique s’avérait une condition sine qua non en cas d’une petite faim d’évasion.  Or, celle-ci m’est devenue un besoin viscéral au fil du temps.

La Suisse normande et les boucles des Hauts de Seine furent les deux destinations retenues mais c’est finalement le Parc régional de Lorraine qui emporta mes suffrages.
Cinq jours de décompression à moins de trois heures de Bruxelles, c’est peu surtout après un été pourri mais avec un peu de chance…
Une escapade échelonnée en trois volets : la découverte des cols messins, l’arpentage en long et en travers des Côtes de Meuse agrémenté d’un intermède en Argonne et la chasse aux cols ardennais.  Trois régions différentes, des émotions avec des fortunes diverses.

Les cols de Lessy et du Rudémont en bordure de Moselle n’ont rien de palpitant même si ceux-ci représentent des lieux stratégiques de l’Histoire de la France.  Le premier abrite un terrain militaire et le fort St Quentin édifié pour protéger la ville de Metz contre l’assaillant. Le second, où chemine le GR5, marqua la frontière française avec l’Allemagne du IIme Reich.

La consolation est venue d’ailleurs.  D’un raidillon d’un peu plus d’un kilomètre situé entre les 2 cols. Un juge de paix sans grade, appelé la Croix St Clément, qui se gravit au départ de deux localités différentes. Depuis Ancy-sur-Moselle en direction de Gorze pour les inconditionnels du bitume.Un virage en épingle à cheveux, affichant une déclivité de 15%fera le bonheur des cyclo-montagnards.  Pour ma part, j’ai opté pour le versant parallèle qui s’échappe de Dornot, un hameau voisin.  La Grand’rue traverse le bled et se  met à grimper au ciel jusqu’à m’en faire péter les varices. La pente s’atténue un peu à la sortie du village lorsque l’asphalte se dégrade en piste forestière cyclable. Cette côte à piéton, qui dépasse largement les trois chevrons de Michelin, est à coup sûr un des raidillons les plus pentus des bords de Moselle. 

L’intermède en Argonne est à l’origine de la seconde surprise.  Les Etots, l’unique col du département de La Meuse, me laissa perplexe.  Libre au lecteur de penser ce qu’il veut d’un col qui se passe avec le tout à droite.

Enfin presque tout ! Quoi qu’il en soit, mon idée était de poursuivre sur ma lancée pour visiter Beaulieu-en-Argonne, un magnifique nid d’aigle du département de la Meuse, situé à quelques hectomètres seulement du col.  Autant vous dire que j’ai évité de justesse l’explosion.  Grâce au fidèle braquet que je fourbis pour grimper aux arbres.  Et encore…il s’en est fallu de peu pour que je lui rende les honneurs du pied malgré mon 30 x 30 d’asthmatique.  Incontestablement, voilà un coup de cul qui vaut sa poussée d’adrénaline! 

Quant à la chasse aux cols ardennais, la matinée se solda par un échec mat du Berger.  Je suis tout bonnement passé à côté de mon sujet tant au col de Cheveuges qu’à celui de Marfée.  Or, je n’avais pas ménagé mes efforts puisque l’ascension de Bulson avait été entreprise par Haraucourt, soit une déclivité de 190 m en moins de 3 bornes.  Je me suis même farci un épouvantail d’une piste infernale à travers la brousse qui me contraignit à une séance de poussage peu glorieuse. Ce n’est qu’à Bruxelles en consultant ViaMichelin que je découvris le pot aux roses.  Mes annotations sur carte étaient foireuses.  Carrément à côté de la plaque, une vraie bleusaille le pèlerin !  Un coup à l’eau au combat naval !



Sugny – col de la Bonne Idée
 

Le second volet ardennais fut plus heureux malgré les traversées laborieuses de Charleville-Mézières.  Au  col du Loup, je faisais d’une pierre deux coups : un nouveau col et un BIG.  Ayant projeté le retour de la boucle via Bohan et Sugny, je suis allé me rincer la dalle à la taverne de La Bonne Idée.  Située au col du même nom, non accepté par la confrérie des Cents Cols.  La probité intellectuelle me contraint ici à une courte digression.  Quelles raisons peut-on invoquer pour reconnaître un col et refuser un autre alors que les deux sont des copies conformes, des passages sur la même ligne de crête, à des altitudes similaires donnant accès aux mêmes vallées ?  Je fais amende honorable envers mon ami Daniel malgré mes prises de position imperturbables à l’encontre de la reconnaissance des cols belges.  Toutefois, dans le cas présent, il y a comme un défaut. 

Basta ! Il est temps de faire état des émotions positives que m’ont procuré les Côtes de Meuse.  Un circuit d’un peu plus de 200 km allant du Lac de Madine à la Zone Rouge en passant au peigne fin le pays de la Mirabelle.  Parcouru pour ma part en 3 étapes séparées ce qui m’a permis de quadriller avec soin les nombreux sites qui émaillent tout au long de cette ronde.
Le gîte d’étape de
Génicourt-sur-Meuse, un village meusien situé à 15 km au sud de Verdun, convenait à la perfection pour y installer mes quartiers généraux.
Mais avant tout, il y a lieu de présenter et de localiser avec précision les trois centres d’intérêt.  La randonnée s’articule autour de la ville de Verdun qui fut un des plus grands champs de bataille de la Grande Guerre.   Elle s’échappe du lac de Madine jusqu’à la Côte du Poivre en passant par les villages détruits, la Tranchée  de Calonne et la plaine de la Meuse. 

Première étape : Lac de Madine, le plus grand lac du Parc Naturel Régional de Lorraine.   Depuis le Tour de France 1993, lorsque Miguel  Indurain assura sa victoire dans le long contre-la-montre de 60 km de la 10me étape contre le roi de la montagne Tony Rominger autour de ce même lac, je pense qu’il n’y ait peu de chose à ajouter.  Le cyclophile se rappelle sans doute !  Excepté la Butte de Montsec qui présente la seule difficulté notoire de cette mise en route dans la région.  Pour le tour du lac, il faut compter 35 km développant une dénivelée de l’ordre de 300 m y compris l’ascension de la butte.  Qu’il ne faut pas louper pour deux raisons.  Elle offre un panorama sur le lac de Madine, les Côtes de Meuse et la Plaine de Woëvre et donne accès au monument qui commémore la reprise du Saillant de St-Mihiel par les troupes américaines en septembre 1918.
Le tour du lac est une excellente mise en jambe pour attaquer les coteaux du
Pays de la Mirabelle.



Montsec – Saillant de St Mihiel
 

Ah, qu’il est agréable de flâner par les paisibles routes du Pays de la Mirabelle !  Quel délice !  Quel repos pour les mirettes !  Il en est qui prétendent que les mirabelliers sont à la Lorraine ce que les oliviers sont à la Provence.  Cette petite prune jaune, introduite probablement à l’époque gallo-romaine, bénéficie du microclimat abrité par les Côtes de Meuse.   D’ailleurs c’est bien simple, tous les villages suivis de la particule « sous-les-Côtes » sont des producteurs de vin et de mirabelles.  Cette douceur de vivre, je l’ai ressentie dès Vigneulles-Hattonchâtel.  Mais avant de savourer ces moments divins, la côte de Dompierre-aux-Bois avait rappelé à mon bon souvenir que la balade n’était pas une partie de manivelle en plat pays bien que l’altitude n’atteigne jamais les 400m.   Après avoir été gratifié d’un repas pantagruélique à l’Auberge Lorraine de Vigneulles, la digestion s’est faite en douceur par une route gentiment vallonnée me faisant successivement découvrir les magnifiques lavoirs couverts de Viéville-sous-les-Côtes, un panorama sur la plaine de la Woëvre sur les hauteurs de St Maurice-sous-les-Côtes, la tombe d’Alain-Fournier au cimetière militaire de St Rémy la Calonne, la Tranchée de Calonne qui n’a rien à voir avec la guerre mais qui est longue saignée de bitume à travers la forêt permettant de parcourir la distance qui va de Verdun à Hattonchâtel et la ferme d’Amblonville, un vaste complexe agricole cité dans l’ouvrage de Maurice Genevoix : « Ceux de 14 ».
De retour à Génicourt-sur-Meuse, le compteur s’arrêta sur 89 km, l’altimètre pointait plus de mille mètres de dénivelée, le compteur de l’appareil numérique affichait une bonne trentaine de clichés et le portefeuille, loin de se plaindre, se réservait pour la suite des opérations.  Le tout sous le septième ciel.

Soirée au gîte.  Au calme !  Presque puisque nous sommes quatre.  Je et trois ouvriers-couvreurs en mission dans la région.  Il faut réserver 6 mois à l’avance, me lança la tôlière surprise de mon arrivée, sinon vous recevez votre ticket pour la belle étoile !  Déjà que  pour m’accepter, elle avait fait sa mijaurée en m’objectant que le gîte affichait complet.  Or, la réservation avait eu lieu 3 jours plus tôt.  Le comble, j’y dormirai tout seul, tout seul, tout seul  trois jours d’affilée en dortoir à 5 lits.  Dans un calme intégral !  Presque !  C’était sans compter le PC portable d’un des ardoisiers qui éructait du RAP au point d’écorcher le tube toutes les dix secondes.  Comme, il en fallait trente pour remettre le CD sur orbite, un brouhaha de tous les tonnerres raisonnait dans mon pavillon.
Exil pour mon îlot de paix en dortoir en compagnie d’un San-Antonio toujours aussi fringant  qui n’a jamais pris une ride depuis sa naissance.

Dernier volet des Côtes de Meuse : la Zone rouge.  C'est-à-dire les champs de tirs, les zones où le risque d’explosion d’anciennes mines est encore présent et le champ de bataille de Verdun.  Une vaste page d’histoire à tourner, en souplesse, le vent dans le nez l’espace d’une belle journée ensoleillée. Pour ce faire, mon premier soin est de remonter sur la Tranchée de Calonne via Mouilly.  Toutefois sans omettre cette fois-ci de faire un saut aux pelouses calcaires qui se dissimulent derrière un épais massif de verdure.  La visite dure le temps d’un coup d’œil.  A y regarder de plus près, je lui ai trouvé un petit air de famille avec notre « Fondry des Chiens » de Nismes.
Deuxième arrêt à
Rupt-en-Woëvre pour zieuter le canon de 155  qui est pourvu de «cingoli », une ceinture de roues à patins articulés.  L’horloge de l’église me tape aussi dans l’œil.  Au lieu de tictaquer dans le clocher, on l’a couchée au pied de l’édifice comme une tombe.

Rupt-en-Woëvre - Canon de 155

Horloge de Rupt-en-Woëvre

Tranchée de Calonne

Après sept kilomètres de Tranchée de Calonne, je bifurque en direction de Haudiomont, un petit village tranquille sous les Côtes.  L’enseigne d’une boulangerie me suggère d’y faire le plein du garde-manger.  Me voilà donc blinder pour un déjeuner sur l’herbe quatre étoiles.  Le cœur allègre et la pédale légère, je poursuis ma route sous les Côtes jusque Bezonvaux, un village détruit et non reconstruit.  Une stèle à la mémoire du Sergent Maginot est érigée à l’entrée d’une aire de recueillement.  Un banc et une table m’invite à y faire le break.  Quignon de pain fourré de camembert dans une main, canette de bibine dans l’autre et l’appareil numérique en bandoulière, je déambule de panneau explicatif en outil, arme et objet quelconque, chaque élément étant coulé dans une dalle de béton.  Bezonvaux fait partie des 9 villages meusiens dits « Morts pour la France ».  Seule la chapelle St Gilles et les panneaux situant la Grand’rue et la Fontaine St Gilles rappelle encore le village d’avant-guerre.  Très courte méridienne.
Village suivant :
Ornes. Village détruit et non reconstruit.  Même topo que Bezonvaux sans objet coulé dans le béton.  Louvemont dans la Côte du Poivre : kif-kif.

Tranchée des Baïonnettes

L'ossuaire de Douaumont

Tourelle du Fort de Douaumont

Cette fois, je suis au cœur du champ de bataille de Verdun.  En grimpant à la Tranchée des Baïonnettes, j’entre dans le vif du sujet.  Un monument recouvre la tranchée dans laquelle les soldats de deux compagnies furent ensevelis debout, à la suite d’un bombardement d’une violence inouïe, le 10 juin 1916.  Je me retrouve dans une vaste nécropole nationale où lOssuaire de Douaumont fait figure de cathédrale veillant sur des champs de croix qui s’étendent à perte de vue.  Ce monstre de béton fut construit pour recueillir les restes non identifiés des 130.000 soldats tombés lors de la bataille de Verdun.  Je renonce à assister au spectacle audiovisuel racontant « La vie du poilu pendant la bataille ».  Impasse aussi sur la vue panoramique de la tour haute de 46 m.  Je me rattraperai doublement sur les hauteurs du Fort de Douaumont.  En attendant, le paysage n’est qu’un vaste témoignage évoquant la violence du casse-pipe : mémorial, monuments aux morts, « Le Soldat du Droit », abris, boyaux et des croix sans fin.  Le vélo me rappelle à l’ordre car il faut grimper en pente douce pour accéder au Fort de Douaumont.  Comme il s’agit du fort, pivot de la bataille de Verdun, je m’interdis d’en louper la visite.  Du haut des coupoles qui abritaient les tourelles des mitrailleuses et des canons, c’est un magnifique observatoire qui se perd à l’horizon en direction du sillon mosellan.  Guillaume II, le kaiser du Reich, clamait haut et fort : « …pour établir la paix, il faut savoir clore la guerre par une bataille décisive.  C’est à Verdun, au cœur de la France, que vous cueillerez le fruit de vos peines… Par contre pour le maréchal Pétain : « Verdun n’était pas seulement la grande forteresse de l’Est destinée à barrer la route à l’invasion, c’était aussi le boulevard moral de la France ».    Voilà  des citations qui risquent de me faire sauter la marmite dans les prochains mois. Quoi qu’il en soit, Douaumont est à l’origine d’un paradoxe inouï puisqu’il coûta 100.000 morts à la France alors qu’il aura été pris et repris sans combat !
Satisfait de mon tour d’horizon du champ de bataille, j’entame la descente sur Verdun avec le tout à droite.  A fond la caisse !  Soudain, au carrefour de Thiaumont, un clac ! me cisaille les ailes.  M…,  le câble du frein avant vient de péter.  Aussitôt, je sollicite davantage la manette de droite.  Avec fermeté de mes doigts veloutés.  Heureusement, Verdun n’est plus loin.  Malgré l’attrait qu’exercent sur moi les obus géants et les canons alignés devant l’entrée du
Mémorial de Verdun, je ne m’arrête que le temps d’un éclair. Or, c’est un des principaux musées européens de la Grande Guerre.  Le « Boyau des Carrières » est lui aussi renvoyé aux abonnés absents !
Trouver un vélociste mécanicien, voilà mon seul et unique souci. Une préoccupation exclusivement terre à terre, je le concède.  Mais ô combien vital !



Mémorial de Verdun

Entrée de Verdun : un choix s’impose. La rive droite ou la rive gauche.  Un rien gauchiste sur les bords depuis toujours, il est normal que la gauche l’emporte.  Hélas ! cette gaucherie va bientôt m’embarrasser.   Il n’y a pas de réparateur à des kilomètres à la ronde.  Grâce aux indications d’un mécano, je parviens chez « Véloland » via le Carrefour des Maréchaux, coincé au pied des bastions, dans les anciens fossés des fortifications.  Des statues monumentales représentant des grands stratèges français m’indiquent la voie à suivre.  Ce qui me vaut un tour complet de la ville.  En d’autres mots, en optant pour la rive opposée, j’eusse échouer tout bêtement à quelques encablures de « Véloland », la boutique de ma quête.    Et ce, à peine à une dizaine de bornes de mon relais d’étape.  Bravo ! l’artiste !
Réparation exécutée sur-le-champ.  Coût : 5 euro plus cher que la même intervention chez mon vélociste attitré.  Ok ! Mais, un dépannage immédiat, cela ausi a son pesant d’or.
Me voilà sauvé pour le restant de mon périple.  Seul regret : la visite du centre de Verdun est remise à la saint glinglin.
Je sacrifie la  rouge de Michelin au profit de la jaune départementale moins fréquentée qui passe par les villages de
Dugny-sur-Meuse et des Monthairons, deux ultimes sites intéressants.  Le premier possède une église dont le clocher roman est fortifié.  Le clocher tour est surmonté de hourds c'est-à-dire de défenses en bois qui étaient destinées à abriter les assiégés en cas d’agression.  A vrai dire, mon souci majeur n’est plus d’ordre historique.  Il s’agit de remplir le garde-manger pour le souper.  Apporter un plus aux rogatons du midi et une baguette de pain frais.  Pour une fois (Belge je suis et je tiens à le rester), je sacrifie le culturel au profit du prosaïque.   La première boulangerie venue fait mon bonheur.  Les frites, c’est pour plus tard.  A Bruxelles.



Tour de l’église Notre-Dame de Dugny-sur-Meuse

Trois localités avant le terminus.  Et le château des Monthairons.  Une magnifique demeure du milieu du XIXme siècle qui s’est métamorphosé en une hostellerie de charme.   Le prix s’oublie et la qualité reste, dit-on ! 
Moi, je me contente de humer les fragrances du parc.  C’est déjà ça, dirait un troubadour de notre siècle.
Mon compteur se bloque sur 95 km, l’altimètre sur 520 m avec en prime de nombreuses visites et un paquet de photos.
Comme j’arrive au gîte, les randonneurs pédestres ont pris position des lieux et monopolisent toutes les douches et les salles d’eau.
Quelques mots de parlote avec les nouveaux venus, pas de trace des ouvriers.
Une douche, un souper sur le pouce, un apprêtage pour un départ à la fraîche en Meuse ardennaise.  Mais ça, je vous l’ai déjà servi !
En conclusion, j’invite vivement les cyclos qui disposent d’un week-end de liberté d’aller s’éclater dans la Meuse Française.  Un préalable ! Le ciel doit être impérativement lumineux au bleu.

 

Automne 2007

 

 

bruffaertsjo@skynet.be

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