José Bruffaerts       Ecrivain Public

 

     
 

 
 

A  l’Ombre  du  « Géant »  de  Provence




Sommet du Mont Ventoux
 

Il est un coin de France que les cyclos belges apprécient tout particulièrement.  Chaque année, c’est par paquet de dizaines qu’ils se ruent dans le Vaucluse à l’assaut du Mont Ventoux.  A vrai dire, cette montagne mythique fascine depuis toujours toute la gent cycliste quelle qu’elle soit, et interpelle le commun des mortels par  la violence des vents qui en balaient ses versants.  Le poète Pétrarque,  déjà en son temps,  avait été impressionné par le géant provençal.  Le Mont Ventoux a inspiré plus d’une chanson de geste à plus d’un coureur recyclé pour l’occasion en chantre lyrique.  Ainsi, voici un quatrain exprimé par Pierre Molinéris, un coureur français de la seconde moitié du siècle précédent 

            «  O Ventoux ! Mont Ventoux, Mont Ventoux !
            Triste route semée de souffrances,d’embûches
                                                         Et de doutes
            Sur ton sol rocailleux, hélas ! bien des coureurs
            Ont vu fuir la victoire et arriver les pleurs. »

Mon propos cependant n’est point de m’attarder sur ses pentes, ni de m’égarer dans les anecdotes qui sont à la hauteur de son ascension.  Les drames et les coups d’éclat, qui en jalonnent son histoire, sont connus de tous les fans de la petite reine.  Un changement de registre vient donc à point nommé pour  éviter les écueils des fastidieuses redites.

Les Dentelles de Montmirail

Suzette

A un pas du géant se blottit un massif calcaire,  lumineux,  qui est en fait le premier contrefort des Alpes de la vallée du Rhône,  dont le patronyme chante dans les oreilles : « Les Dentelles de Montmirail ».
Montmirail ?  Montmirail ?  Bon sang mais c’est bien sûr !  Ce nom m’est familier me rétorquerez-vous.  Holà, je vous arrête d’emblée parce que les dentelles  n’ont rien de commun avec les « Visiteurs » que sont Messire Godefroy et son compère Jacqouille la Fripouille.
Ici, c’est un petit coin de paradis pour les randonneurs.  Un somptueux terrain de jeux qui laisse les zygomatiques au repos.  Un véritable jardin de délices pour les poètes.  Un régal visuel pour tout un chacun et en prime un paysage qui exhale les parfums de la Haute Provence.  Les dentelles  se découpent, telle une véritable sculpture naturelle, dans le ciel bleu azur de Provence.  Elles dominent de leurs aiguilles déchiquetées les garrigues et les terrasses caillouteuses envahies par le vignoble de Gigondas.  Le petit massif rocheux est circonscrit par une kyrielle de petits villages qui sont classés parmi les « Plus beaux de France » et proposent pratiquement tous des vins de grande qualité.  Beaumes-de-Venise, réputé pour son muscat,  rivalise de finesse avec les vins gorgés de soleil de Gigondas.  La commune de Vacqueyras n’est pas en reste et la cité fortifiée de Séguret tient aussi à son  AOC.  Les villages perchés, troglodytes ou accrochés à un piton rocheux y sont légion.  La Roque Alric, Suzette et Séguret n’en sont que quelques exemples.
Il va de soi donc que les chambres d’hôtes et les gîtes d’étape fleurissent dans tous les coins de la région.  Pas étonnant dès lors quand on apprend qu’à Beaumes-de-Venise par exemple, la population  double automatiquement à la belle saison.
C’est dans ce cadre exceptionnel que je me suis offert une courte – mais très intense - balade autour des trois aiguilles maîtresses.


Mon parcours démarre de mon quartier général, établi à « l’Espaze » en bordure du vignoble St Sauveur, au sud de Beaumes-de-V.  Les premiers coups de pédale se déroulent entre les vignobles dans un relief peu accidenté.  Je m’octroie une courte halte à Beaumes-de-V. qui est appuyé contre une falaise truffée de grottes (=beaumes).  Ensuite, direction «  Malaucène ».  Je remonte le cours de La Salette jusqu’aux abords de Lafare,  là où un petit pont enjambe le torrent.  Virage de 180° à gauche.  Au bout d’une dizaine de mètres le chemin  redresse l’échine et me voilà bien vite au cœur d’un immense champ de vignes où il se dresse  trois gigantesques rochers.  Ces aiguilles rocheuses écrasent le paysage de leur masse.  Aussi, s’orienter dans les vignes du Seigneur devient-il un jeu d’enfant puisque l’excursion gravite autour de ces immenses rochers.  Malgré une hésitation à la première grande croisée de chemins, je me résous à prendre la piste bordée de part et d’autre de bonbonnes de gaz.  Que peuvent-elles bien faire en ce lieu ?
La large piste se prête à merveille pour le VTT.  D’autant plus que les verts se conjuguent à tous les temps sous un plafond de bleu.  En outre, le chemin est un accès entretenu par les pouvoirs publics pour combattre les  incendies.  Deuxième carrefour.  Un poteau indicateur renseigne la direction du col d’Asau.
Holà !  Voilà du neuf sous le soleil !  Je rencontre un premier chasseur bariolé d’un baudrier orange qui fait le pied de grue. Le fusil prêt à faire feu.    Tous les cinq cents mètres maintenant, je croise un de ses coreligionnaires dont la mine patibulaire s’accentue au fur et à mesure  au fil du temps.  Quel drôle de chemin de croix !  En effet,  si une envie prenait à l’un des gaillards de me tirer comme un lapin…!  Aïe ! Aïe ! Aïe !
Ce n’est qu’au col de Cayron que le chassé-croisé prend fin.  Sans  le moindre écho de  coup de feu.  Je m’en trouve fort aise. La forêt et la garrigue reprennent un moment leurs droits.

Arrivée de Dominique au col de Suzette

Le vignoble de Gigondas

La croisée des chemins du col de Cayron m’invite à la réflexion.  Dilemme !  A gauche, la piste descend  entre les vignes sur Gigondas, tout droit elle remonte vers le col de Suzette et à droite, le chemin rejoint le village de Lafare.  Mon cœur balance entre les trois directions qui répondent toutes à ma fantaisie quoique le col de Suzette,  qui offre un magnifique point de vue sur le château du Barroux,  ait été franchi le jour précédent via le parcours de rêve du col de Champ-Paga et du village perché de La Roque Alric.  Je tranche pour la descente sur Lafare qui débouche dans une combe envahie par une propriété et des vignobles.  Le bitume refait son apparition.    Soudain, comme par enchantement,  toute la vallée se découvre à mes yeux et c’est par une descente vertigineuse que j’aboutis au centre de Lafare.  De là, il ne me reste plus qu’à flâner pour retrouver « l’Espaze » qui,  entre nous soit dit, est un petit nid douillet isolé en rase campagne,  idéal pour abriter les amours d’un couple de tourtereaux !  Et, excellent de surcroît,   pour requinquer le moral d’un randonneur sur le retour !
Deux jours plus tôt, une balade pédestre au départ de Séguret, un petit village fortifié aux ruelles pentues,  m’avait déjà fait découvrir un large panorama sur les Dentelles de Montmirail et la plaine du Comtat de Venaissin.  Encore un site qui mérite le détour !

                                                   Séguret

Et pour conclure, une devinette !  Connaissez-vous le comble d’un insatiable grimpeur invétéré et inconditionnel depuis près d’un quart de siècle  ?
C’est le gars qui  loge pendant une semaine au pied du  Ventoux, le scrute sous tous ses angles et finalement le grimpe allègrement …en auto !   Incroyable mais l’exploit, qui n’est pas à la portée de tous, n’est pas prêt d’être oublié par l’intéressé.  Même lorsqu’il reposera six pouces sous terre.  Cependant…le philosophe ne dit-il pas : « Il faut un début à tout !».
Voilà où en est arrivé l’écrivassier !  Hélas !


Eté 2001

                                          

bruffaertsjo@skynet.be

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