José Bruffaerts       Ecrivain Public

 

 

LES  BOUCLES  DE  LA  MOSELLE

 
 

 

Les derniers jours de septembre se mettent aux couleurs de l’été indien. 

                                                                    ¶¶…..¶
                                                                    On ira où tu voudras, quand tu voudras
                                                                    Et…………la la la…..……la………la.. …¶….¶¶


L’été indien, c’est bel et bien… mais où s’envoler au pied levé ?  Après réflexion, exit l’avion.  Trop de temps perdu en transfert quand on ne s’accorde que 5 jours de défonce.
D’où la question à dix francs !  Où le prendre ce pied ? D’autant plus que cette réflexion n’est qu’un avant-goût de perplexité ! En effet, il faut que le point de chute soit situé à une distance raisonnable, que la région conjugue patrimoine et relief où la plaine côtoie la montagne, que la contrée soit un dépaysement total.  Et encore faut-il se trouver à loger ?  Bref, la quadrature s’apparente davantage à une question à cent francs !
Eh bien, non !  Rassurez-vous ! L’endroit existe bel et bien et encore bien à proximité de Bruxelles.  En Rhénanie-Palatinat.  Deux heures et demie de route et on est sur place.  Dans la vallée de la Moselle à Bernkastel-Kues.   Au cœur des vignobles !
Depuis longue date,  la localité titillait ma curiosité de cyclotouriste.  Peut-être que Nicolas de Cues (Cusanus), théologien et philosophe de la « La Docte Ignorance », m’ait attiré en son fief sans que j’en fusse conscient.  Allez comprendre les lois de la cosmologie !
Quoi qu’il en soit, j’installe mes quartiers sur les hauteurs du « Kueser Plateau » en face de la petite ville touristique et haut lieu viticole.
Fidèle à mes principes, il est exclu que je détaille par le menu les 350 km et les 3350m de dénivelée de ces quatre jours d’escapade mosellane.
Cependant, avant d’en arriver à mes états d’âme, deux ou trois précisions méritent d’être évoquées.  Moselle est un diminutif de « Meuse », ce qui tend à dire que les Romains considéraient la Moselle comme un affluent de la Meuse ou,  du moins,  un cours d’eau faisant partie du bassin mosan.

Par ailleurs, la Moselle,  qui se la coule douce sur quelque 200 km, sépare le massif de l’Eifel de celui de l’Hunsrück.  Deux chaînes de montagne qui ressemblent comme deux gouttes d’eau à nos Hautes Fagnes.  Les sommets en bordure de rivière dépassent rarement les 450m d’altitude.  C’est à dire qu’il faut se farcir un dénivelé de l’ordre de 350m  pour prendre des grands airs au sommet des coteaux.  Des raidillons de pure souche sur 4 à 5 bornes. Et trois « Bigs » en compensation à la disette de cols.  Dernière particularité : Bernkastel-Kues se trouve blottie dans un méandre de la moyenne Moselle  mi-chemin environ entre les villes de Trêves et de Coblence.  Voilà ce qu’il en est pour la localisation des lieux.


Avant tout, j’ai aimé la tranquillité et la gracilité de la Moselle qui s’étire en une douce caresse vers les eaux tumultueuses du Rhin.  Je me suis raffolé à tournicoter, virevolter et sinuer entre les vignes opulentes du bord de la rivière. Sur d’interminables pistes cyclables en site propre.  J’ai pris mon pied en  me hissant au sommet de ces coteaux par les routes confidentielles réservées aux vignerons. Je me suis passionné pour le charme de Bernkastel-Kues, sa place du marché, unique en son genre, avec  ses maisons à colombage.  J’ai affectionné la grimpette vers les ruines de son « Burg Landshut » et son vaste panorama sur les vignobles du « Kueser Plateau », la ville et la sinuosité de la Moselle. Dans la descente vertigineuse sur Cochem, j’ai contemplé son « Reichsburg », le château impérial qui trône au-dessus de la cité.  Peu après, ce sont les manœuvres des bateaux-mouches qui ont attiré mon attention.  J’ai dévoré des yeux le merveilleux site de Trittenheim où la Moselle se contorsionne comme un serpent en un méandre parfait.  Je me suis régalé sur les pentes du Mont Royal dont le coup de reins mérite le raccourci.  Cette éminence, qui rappelle le passage du Roi Soleil, contraint la Moselle à décrire une boucle à peu de chose parfaite.  Une petite contrariété : les bancs de brume et la fraîcheur des matinées.   J’ai trouvé du plaisir  à dévaler les larges lacets du célèbre vignoble de l’Urziger Würzgarten.  J’ai redouté les dangers du trafic dès que le cycliste emprunte une nationale ou une voie de communication importante.  J’ai regretté les travaux sur la Hunsrück-Höhenstrasse qui sont à l’origine du détournement de la circulation  sur les voies communales de la région de Morbach.  J’ai savouré avec beaucoup de modération un grand cru régional de Riesling.  Il était magnifique mais pas démocratique pour un sou.  Aussi me suis-je délecté avec de la Bitburger Bier, moins chère mais excellente néanmoins.  J’ai goûté le calme de « l’Amselnest », ma résidence sur le « Kueser Plateau » qui est investi par les curistes de tous poils.  Par contre, j’en ai  appréhendé le final de 10% à chaque retour de balade.  Je me suis félicité de m’être aventuré sur la « Moselhöhenweg », une piste forestière qui aboutit sur une vaste clairière, « le Dreifaltigkeit », qui m’a tout l’air d’un lieu de sabbat.  Moins d’un kilomètre plus loin, la tour panoramique du « Greinskopf », perchée à 325 m d’altitude, m’a procuré la joie d’une vue quasi aérienne sur la vallée de la Moselle, les contreforts de l’Hunsrück et les pâturages  de l’Eifel.  J’ai apprécié la  quiétude de la piste cyclable de la « Mare-Mosel Radweg » qui remonte le filet d’eau de la Lieser.

 

Comme tout lecteur peut le constater, le bilan est très positif pour une escapade organisée au pied levé.  La vallée de la Moselle est un petit paradis cycliste.  Cependant !  Si de très nombreux cyclistes sillonnent, hors saison, les pistes de la vallée, on est en droit de se demander la foire que cela doit être en pleine période estivale ?  Une consolation, toutefois !  Dès les premiers degrés dans les coteaux, il n’y a plus un chat à voir !  Et de cyclistes encore moins !  C’est vrai que ça monte sec !  C’est la raison pour laquelle le BIG c’est à dire le Brevet International du Grimpeur, cher à mon ami Daniel, a inscrit deux ascensions dans le parc naturel de l’Hunsrück et une en bordure de la Moselle.  Cette dernière prend son origine dans le village de Bremm situé entre Cochem et Traben-Trarbach.  Pas moyen de se tromper !  Il n’y a qu’à suivre la pente ascendante.  Dès la sortie de l’agglomération, la route se fraie un large passage en lacet entre les vignes.  Degré de difficulté : un 10% constant puisqu’il faut hisser son barda de 330 m sur quelque 3 kilomètres.  L’ascension débouche sur un plateau où l’agriculture reprend ses droits.
Mon sentiment : un BIG court et bien.

Le deuxième Big, « l’Erbeskopf »,  culmine à 818 m d’altitude.  C’est le sommet du massif montagneux de l’Hunsrück.  La Bundeswehr en a fait une zone militaire dominée par une tour en forme de gland qui fait face à un vétuste mirador en bois.  Entre les deux une vaste plaine de drill.  En contrebas de ce mamelon herbeux, les autorités civiles ont installé un parc de récréation en regard d’une importante station de pompage d’eau potable.  Avec des noirs sapins tout autour.
L’handicap de ce Big, c’est qu’il faut obligatoirement se farcir des routes à grande circulation pour y parvenir sauf utilisation du GPS et emprunter les pistes forestières.
Mon sentiment : un satisfecit bien payé.

Quant au « Stumpfer Turm », je m’attendais à mieux.  Ça foire dès la sortie de Bernkastel-Kues, à hauteur du cimetière.  Une mise en route laborieuse à cause de la circulation dense et de l’étroitesse du chemin.  Un cluse, quelques beaux lacets jusque Longkamp, ensuite rien de bien exceptionnel si ce n’est le croisement permanent d’un train de poids lourds détournés de la Hunsrück-Höhenstrasse.  La faute à pas de chance puisque c’est la route principale qui traverse le massif montagneux sur toute sa longueur.
A force de me concentrer pour rester bien en ligne, de contrebalancer illusoirement le déplacement d’air des camions, de récupérer en catastrophe ma casquette, de râler, je suis parvenu à 100 m du « Stumpfer Turm » n’ayant eu le temps de lui adresser qu’un coup d’œil furtif dans la descente vers Hinzenrath.  Et des bagnoles  qui me collaient toujours aux basques ! Vraiment pas marrant !  Voilà un Big qui ne risque pas de sombrer dans les oubliettes.
Mon sentiment : joker ! 

Il me restait à boucler la boucle sur le chemin du retour.  La Principauté du G.D du Luxembourg était tout indiquée d’autant plus qu’elle recense deux cols dans la région de la Haute Alzette.  Aussi, ai-je décrit un circuit au départ d’Ettelbrück d’un peu plus de 60 bornes franchissant les cols de Schaarfesuebel (368m) et de Lopert (334m).  Le premier est un col de crête, qui se dédouble entre Blaschette (au sud) et le col, si bien que la route (CR 101) entre le col et Lintgen à l'ouest, descend tout 'abord, puis remonte sur le flanc de la colline Blaschentderhecken (413m).  Venant de Fischbach , je me suis retrouvé à la bifurcation sans m’en rendre compte.  Autant vous dire que ça ne montait pas des masses !
Quant au second,  qui niche sur la nationale à la sortie de Feulen vers Ettelbrück, bien que d’accès pentu, il n’a rien d’un épouvantail.  Mais « opgelet en niet gelachen »*, ça ne veut pas dire charrette !  Le relief du Grand Duché n’a rien d’une platitude !  Excepté le fond des vallées !  En fait, la traversée du pays d’est en ouest est faite d’une succession de montagnes russes.
  Aussi le manque de cols recensés est-il largement compensé par des chemins de calvaire raides à souhait !  Parmi la brochette de grimpettes que je me suis offerte au cours de cette balade, il y a lieu d’en citer deux en particulier : le Kreuzberg à Schieren et le Bierigberg à la sortie de Beringen.  Deux raidillons qui prennent leur origine dans la vallée de l’Alzette.  Des exemples  typiques de ce que l’on appelle communément des côtes à piétons.  Par ailleurs, quand on observe que la balade luxembourgeoise approchait les 1000 m de dénivelée, il est aisé de conclure que ce genre de partie de manivelles n’a rien de commun avec les promenades le long des canaux.  Et… les canaux au G.D du Luxembourg, ils ne sont pas légion.  

Conclusion !  Allez-y mollo chez nos voisins « Letzerburgers » sinon gare aux dents !          Quant à mon escapade,  je la qualifierai : « Que du bonheur ! »

Automne 2005

*  « attention et ravalez vos ricanements »

 

bruffaertsjo@skynet.be

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