José Bruffaerts       Ecrivain Public

 

     
 

 
 

Balade au royaume du mélèze
 

Dans tout, il y a ceux qui ont la cote et les losers qui sont à la bourre. Itou pour les cols.  Il y a les mythiques et les médiatiques.  Les événementiels et les confidentiels.  Il y a aussi les chers obscurs, inconnus au bataillon des couraillons.  C’est le cas d’une trilogie exceptionnelle composée des cols des Planches, du Tronc et du Lein.  Dominant les cités valaisannes de Martigny et de Saxon, ces cols de crête, qui abritent la plus belle forêt de mélèzes d’Europe, sont un véritable exutoire pour les citadins quand la plaine brûle sous juillet et août.  C'est par dizaines que les pique-niqueurs, marcheurs, promeneurs, automobilistes convergent vers les pâturages boisés du Mont-Chemin et l’aire de pique-nique du col du Lein.  Dès 10h. du mat, les Octoduriens affluent en ces lieux et s’y prélassent toute la journée. Des tentes sont dressées autour de tables et de bancs taillés dans les troncs.  Il existe même des barbecues et un bloc sanitaire mis à la disposition des visiteurs.  Tout le tutti pour le farniente, quoi !

En cette matinée dominicale du 10 août, j’assistai ainsi au lever d’une colonie de jeunes campeurs. Pour accéder à ce lieu de rêve, il existe quatre itinéraires dont le plus fréquenté démarre de Martigny via Chemin-Dessus, le col des Planches et le col du Tronc.  Quelque quinze kilomètres séparent le col du Lein de la métropole valaisanne.  Très vite au-delà du col des Planches, la route se transforme en une piste forestière. T’inquiète, impec du point de vue carrossable !  Le col du Lein fait également la jonction entre Vollèges et Saxon et offre des belles vues sur le Val de Bagnes.  A proximité, l’on trouve un restaurant d’alpage proposant sa cuisine avec des produits régionaux mis en vente à la boutique.  L’on peut déjeuner sur la terrasse aux sons des cloches des Hérens pâturant à proximité dans les alpages.  Cette particularité n’est pas le propre du seul col du Lein.  Les buvettes font leur apparition dès la proximité du col des Planches.  C’est le moment de porter les plaisirs épicuriens à leur apogée.  Nunc est bibendum !  En décrypté pour les unilingues unilinguistes, le père Horace aurait fredonné dans la langue de notre Virgile bruxellois :

Chef un p’tit verre on a soif,
chef un p’tit verre on a soif,
une p’tite bière on a soif,
on a soif, on a soif… 

Toernee general, geif ons nog iene !  (Tournée générale, à boire !)
Waile goên er ‘n zatteprosesse van moêke.  (On va faire la tournée des grands ducs) 

Mais avant de sombrer corps et âme dans la douce Williamine (noble Suissesse oblige) servie sur un lit de glace pilée, je m’étais appliqué auparavant à faire rougir le trente dents.

8h. du mat.  Les « Dominique » me dropent à Martigny-Bourg au pied du mur des Planches.  Leurs sourires discrets préfacent une entourloupe.  Pftt !  Les risettes glissent sur le cuir de mon crâne.  Je suis confiant car, en ce jour du seigneur, je sais que celui-ci ne me laissera pas tomber. Peut-être puis-je même espérer que mon état de grâce lui inspirât* de distiller mes vapeurs acidulées corporelles en une douce liqueur octodurienne !  Pourquoi pas ?  Personnellement, je ne vois pas la différence entre changer de l’eau en vin ou de la sueur en eau-de-vie.  La recette doit être identique dans les deux cas !   Comme quoi, un agnostique ne perd jamais tout à fait la foi !

Huit jours plus tôt, mes coreligionnaires avaient étrenné ce raidard et l’avaient trouvé aussi pentu que le Jaman.  Un épouvantail sur les hauteurs de Montreux qui affiche une finale démentielle. Ici, c’est du pareil au même excepté que c’est au début qu’on grimpe au ciel. Les trois premiers kilomètres à 10% et plus de moyenne, les trois suivants de même facture et ainsi de suite jusqu’au sommet du col.  Mais là n’est pas le but de ce papier puisque toutes les routes de la vallée du Rhône qui s’échappent vers la montagne épousent la même courbe.  Sauf une petite nuance.  En amont de Martigny, les premiers lacets, qui se faufilent entre les vignobles, sont plus serrés que ceux des Planches et ceux de son vis-à-vis « la Forclaz ». 

Non !  Le grand intérêt de ces trois cols en enfilade, c’est que m’y suis retrouvé en royale compagnie.  Rien que ça !  Comme j’arrive au col du Lein, me voilà accueilli par une petite centaine de belles Noires. Des Noires couleur corbeau, des Black Beauties, des Noires d’ébène, des Belles ténébreuses, des Cordon Negro, des Bianconero juvéniles et des Brunettes, toutes plus exquises les unes que les autres aux yeux noir charbon.  Des « canons » comme je n’en avais jamais vu.   Imposantes.  Altières.  Hautaines au regard impassible, l’immense poitrail au vent et la croupe callipyge. Avec, quand même, une nette tendance à la stéatopygie**.  Des chutes de reins à damner un régiment de taureaux car les jouvencelles se dandinaient au rythme d’une cacophonie de sonnailles digne d’un Strindberg dodécaphonisé.   Et pour couronner le tableau, impossible de rester insensible au dégagement de leur parfum champêtre.

Hélas ! Il me sera refusé de déposer mes hommages au pied de sa majesté « Fercle ».  La reine, qui depuis le début de l’estive règne sans partage sur ce troupeau d’une petite centaine de têtes.  Eh oui ! Sans le savoir, mon ascension s’est échouée au lieu de l’inalpe c'est-à-dire à l’endroit où les éleveurs conduisent leurs vaches  pour y passer les 100 jours d’alpage.  C’est également ici qu’a eu lieu le 7 juin le concours annuel qui a rassemblé environ 80 vaches d’Hérens qui se sont affrontées entre elles pour le titre de Reine d’alpage. Comme « Fercle » fut sacrée la big gagnante, il lui revient d’emmener, matin et après-midi après la traite, ses congénères rejoindre leur parc.  Ce titre de gloire de « Reine » ne sera cependant définitivement acquis qu’au terme de la désalpe qui aura lieu le 20 septembre.
Il va de soi que toutes ces beautés pur jus sont en permanence sous haute surveillance de gardes-chiourme.
Hélas ! Toute surprise n’a qu’un temps.  Aussi, à la différence des promeneurs qui installaient leurs quartiers pour la journée, dus-je me résoudre à prendre mes claques sans la clique *** et filer à fond de balle dans la vallée du Rhône, la même que j’avais quittée deux heures plus tôt.  Tiens donc !  Où ai-je encore lu qu’un col est un passage d’une vallée à une autre ?  Il est vrai que 3 cols en enfilade offrent un tout autre son de cloche.
Terrain glissant, n’est-ce pas !  P’t’être bin que oui ! P’t’être bin que non !

Par conséquent, avant que l’un d’entre vous se mettent à me sonner les cloches, je préfère vous tirer ma révérence.  

Août 2008


*      Hélas, je l’ai eu dans le baba !
**    Voilà un mot savant que je vous laisse découvrir dans le Petit Larousse.
***  D’accord ! Le jeu de mots est facile mais que j’allais quand même pas le passer sous silence    pour vos beaux yeux !

 

bruffaertsjo@skynet.be

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