José Bruffaerts       Ecrivain Public

 

 

 

Là, où les coqs picorent !

 
 

 

 

        Les colchiques fleurissent dans les prés. Et voilà qu’en cette fin de l’été, il me prend la fantaisie de descendre dans les Alpes pour faire le plein de cols au-delà de « 2000 ». Or, comme les matinées sont déjà très fraîches en haute montagne, je n’hésite pas à choisir les Alpes du Sud comme destination, en l’occurrence le Parc Régional du Queyras.

Pourquoi ce coin perdu aux confins de la France ? Elémentaire, mon cher …!
N’est-ce pas là, dans le mythique col de l’Izoard (2360m), que les forçats de la route ont écrit les plus belles pages du Tour de France ! Antoine Blondin, le célèbre chroniqueur du Tour de France, a immortalisé ce coin perdu des Alpes grâce à sa verve épistolaire. Pour illustrer un tant soit peu ce prince de l’équivoque et du calembour, je ne citerai qu’un extrait de son ouvrage « Ironie du Sport ».

 

L'Izoard, back side
Brunissard, La Chalp et Arvieux
 

Voici ce que lui avait inspiré la « Casse Déserte » dans les années cinquante.
« A un moment, on nous apprit que Robinson avait pris de l’avance ! Ce n’est pas le premier Anglais à penser que son avenir est sur le haut et Roule Britannia…L’ennuyeux, là, c’est qu’il n’était pas seul, parce qu’un Robinson sur une « casse déserte », je ne sais si vous voyez d’ici fumer les capuchons de stylos. En fait, ce sont les capots des radiateurs, qui bouillonnaient, de vrais petits geysers giclant vers un ciel peuplé du cri des motards fous, du gémissement des coursiers, du craquement des châssis, car la vérité est qu’on montait, pneu à pneu, mais fermement. Et puis, au débouché d’un bois, la maquerelle, la vache, ce fut la « casse déserte », fumier ! … »

 

 

Mais, il n’y a pas que l’Izoard dans le coin. Un seul col, aussi prestigieux fût-il, ne peut être à l’origine d’un séjour d’une semaine dans un petit village de montagne. D’autres adjuvants sont indispensables. A vrai dire, les circuits décrits dans les guides « TOPO - Cyclo muletier » du Club des Cent Cols avaient piqué ma curiosité.

En élisant résidence à Château-Ville-Vieille (1380m), j’y ai trouvé largement mon compte quoique, par le passé, je me fusse régulièrement frotté aux cols queyrassins ainsi qu’à ceux du Gapençais et du Briançonnais.
En combinant route, chemin muletier et sentier, le randonneur est à même de se forger, au bout d’une semaine, une impression du Queyras qui tiendra la route.
Pour ma part, trois ascensions (parmi une foultitude) se démarquent des autres par « un je ne sais quoi » que je vous laisse le soin d’aller découvrir vous-même.
 

St Véran et les environs
 

La première est la longue, la très longue montée vers la frontière italienne au col Agnel (2744m) via une digression muletière au Col Vieux (2806m). De Château-Ville-Vieille au sommet, la dénivellation moyenne est de 6.5% pendant 21 km. De plus, il existe une boucle pastorale alternative à la voie directe qui aboutit à St Véran, un village fleuri de caractère. Les cadrans solaires et les maisons à greniers – auvents en bois de la commune la plus haute d’Europe font la fierté des Queyrassiens. Toutefois, pour peu qu'on se donne la peine de s’attarder dans les hameaux, il n’y en a pas un seul qui soit en manque de cachet ! A vos bons cœurs, messieurs dames les tamponné(e)s !

Col Agnel : versant français
 

Le versant italien du col Agnel fait figure d’épouvantail avec ses dix derniers kilomètres pentus à +/- 10% de moyenne. Vaut le détour.

Col Agnel et le Val Varaita
 

La seconde ascension est un chemin muletier caillouteux (+/- 9 km) qui, s’écartant d’Arvieux (1545m) – route de l’Izoard – serpente sous les mélèzes qui s’éclipsent peu à peu pour faire place à un monde minéral jusqu’au col de Furfande (2500m). Les derniers kilomètres sont pentus à souhait. Au sommet du col, la découverte du Mont Blanc qui se cache derrière la brèche du col de l’Izoard, à l’horizon, est une récompense royale. Quant au refuge de Furfande, il sert de repère pour la descente dans les gorges du Guil.

En trois, le col de Fromage (2301m) est un monument incontournable pour le vététiste. Le col, bien aéré, se trouve au carrefour d’un nœud de sentiers de grande randonnée. Fait rare, il est accessible par les quatre points cardinaux. La montagne qui se dévoile, tant au levant qu’au couchant, est magnifique. Dernier point non négligeable : le balisage est parfait.

 

 

Le Sommet Bucher (2250m) et sa table d’orientation, les trente lacets du mur des Escoyères (1532m), le chemin de la chapelle de N.D du Clausis (2390m), l’ascension des chalets de Clapeyto (2221m) et Haut-Risoul (1850m) entre autres sont autant d’escalades qui font du Queyras une montagne à la hauteur des exigences du cyclo-randonneur.

Malgré le climat d’un air à transparence de cristal, les cols à gogo, l’absence de brouillard, les escalades à la pelle, le ciel bleu azur de la plus haute vallée des Hautes-Alpes, l’avalanche de raidillons, la contrée chargée d’histoire et de coutumes et la flopée de sentiers de randonnée, mon coup de cœur va sans hésitation au gîte « Les Astragales », du nom d’une fleur rarissime qui pousse dans la région. Le même gîte d’étape qui aurait dû m’héberger un lustre plus tôt sans la mauvaise chute dans le massif de l’Assietta.

Danielle et Pascal, les propriétaires de céans, se sont coupés en quatre pour rendre mon séjour le plus « cool » possible. En effet, après une longue journée de solitude à plus de 2500m d’altitude et ce, très souvent sur des sentiers à peine tracés, il était légitime que le randonneur aspirât chaque soir à se retrouver comme chez soi. A cet égard, je rends à Pascal ce qui lui appartient. Passionné de montagne, il ne s’est jamais fait prier pour mettre les petits plats dans les grands. Danielle, pour sa part, surveille sans cesse l’assemblée de son regard perçant. Tous les commensaux doivent être satisfaits. On ne badine pas avec l’étiquette aux « Astragales ».
 


Pas de souci de vélo. Il est abrité dans une remise verrouillée. Le repas copieux et convivial, à un prix démocratique, est un des atouts majeurs de l’auberge. Car, il y a aussi des chambres d’hôtes pour les réfractaires au dortoir. Bref, en un mot, ce gîte a été la cerise sur le gâteau de mon séjour.
A toutes fins utiles, en voici les coordonnées :
Gîte « Les Astragales » - 05350-Chäteau-Ville-Vieille (France) – Tél-fax 04.92.46.86.13
E-mail : astragales.queyras@free.fr

Quant à moi, je retournerai picorer les étoiles comme les coqs de la légende. Le Queyras me colle maintenant à la peau comme le goudron aux pneus de ma petite reine.
 

Quatre ans plus tard.

Enfin, me voilà de retour dans le Queyras. J’installe mon quartier général aux Astragales de Château-Ville-Vieille. Le choix coule de source. En effet ! Pas question de changer de formule après les excellents souvenirs du séjour précédent.
Bien ! Et le vélo, qu’en est-il ?

Il me reste encore un bout de route à passer au peigne fin ; la départementale D947 qui s’en va mourir de l’Echalp à la cote 2127, un belvédère situé au pied du Mont Viso. La route, qui court le long du Guil, n’a jamais fait l’objet d’une étude ni même d’un commentaire. Pourquoi ?



Le Mont Viso


Deux raisons majeures sont à l’origine de cette méconnaissance et, par conséquent, du faible taux de fréquentation de cette route. Après l’Echalp, la route se dégrade très fort et se transforme en chemin forestier après la traversée du Guil. En outre, la pente s’accentue méchamment. Au lieu dit de la « La Roche Ecroulée » une barrière munie d’un avis officiel interdit l’accès à tout engin touristique et tout autre véhicule non autorisé. Selon les autochtones, cette interdiction ne serait d’application que durant la haute saison.
Effacée depuis toujours par les cols de l’Izoard et de l’Agnel, la route développe cependant le même profil que celui du col du Lautaret, à savoir 26 km pour 740 m de dénivellation. Or, le Lautaret, lui, il a acquis ses lettres de noblesse. Il est même considéré comme un obstacle majeur. A la différence de la route du Haut Queyras qui échoue dans un cul de sac au pied du mont Viso, celle du Lautaret est un axe routier important en bordure du Massif des Ecrins. Je vous assure cependant que le Mont Viso n’a rien à envier à la Meije.

Le Guil

La Meije

Sa haute masse, visible de loin, domine tout le Piémont et a longtemps passé pour le plus haut sommet des Alpes. « Majoresque cadunt altis de montibus umbrae… » dixit Virgile, l’auteur de l’Enéide.
Mais ce n’est pas tout ! Des siècles avant l’ouverture des cols de l’Izoard, Agnel, Lautaret , Galibier, et autre Bonette, le col de la Traversette, qui est l’issue naturelle de l’actuelle départementale D947, avait défrayé la chronique du Moyen Age en tant que voie surprise pour envahir l’Italie. Le col, qui relie Abriés à Crissolo dans la vallée du Pô, se niche entre le Mont Graner (3179m) et le Mont Viso (3841m).
Il était donc une fois…
Pendant que Charles VIII se farcit la route des pèlerins de Rome c’est à dire les lacets du col du mont Genèvre, qui est à l’époque la voie la plus aisée et la plus courte pour passer en Piémont, il fait passer ses archers à 2915 m d’altitude par le tunnel de la Traversette, le sentier, le plus élevé que l’on connût. On ne sait toujours pas pourquoi, sinon peut-être pour se prévaloir d’une « première » en ce secteur.
Une particularité singulière distingue la Traversette. Sous le col, a été forée dès 1480, à l’instigation du marquis de Saluces avec l’assentiment et le concours du roi de France Louis XI, le père de Charles VIII, une galerie ou « pertuis » qui, bien que modeste (moins de 200 m de long, à peine plus de 2 mètres de large sur 2 de haut) n’en est pas moins, de loin, le premier en date des tunnels alpins.
En 1515, année de Marignan, le gros de l’armée de François Ier passe le col de Vars, puis celui de Larche et descend sur Coni, surprenant l’ennemi qui l’attendait au débouché du Montgenèvre. Cet effet de surprise est encore accru par l’intervention d’une flanc-garde de fantassins et de quinze cents cavaliers qui entrent en Italie par le col de la Traversette et le col Agnel.

Le Grand Belvédère et le Mont Viso
 

Comme on peut le constater, le col était pour le moins fréquenté à une certaine époque.
De nos jours, ce sont les randonneurs pédestres et quelques bergers qui ont pris le relais des militaires. Un rare cyclo arpente aussi les lieux à l’occasion. Alors…il arrive qu’un berger siffle le rappel de ses chiens et les lui colle aux fesses. Ce n’est pas de la fiction. C’est une histoire belge vécue. Mes artères n’ont pour autant pas été envahi par un flot d’adrénaline. Une chance car j’avais les jambes en compote mais… le Guil me protégeait des fauves.
Quant aux cynophobes, il est préférable qu’ils s’abstiennent de s’aventurer dans ce chemin interdit. Cela leur évitera des sueurs froides.
Toutefois…

Les jappements de rage des clebs n’avaient été qu’un vague prélude à ma démonophobie. Un peu plus tard dans la journée, je fis l’objet d’une agression insolite d’une rare violence. Par le couple d’insectivores le plus inoffensif de la planète.

Terminus de l’étape. La forteresse de Château-Ville-Vieille (1385m) est un des sites les plus photographiés de la vallée. Pour ne pas déroger à la règle, me voilà donc à pied d’œuvre sous les remparts de la ville, l’appareil photo en mains.

Château Queyras ( Château - Ville - Vieille)
 

Je déambule sur le pont près du cimetière qui enjambe le Guil. Je vais. Je viens. J’avance. Je fais un pas en arrière, un pas à droite. Je fignole l’angle de prise de vue. Je troque ma licence cyclo contre un brevet de paparazzi. Le pont se transforme en travelling-bridge. C’est ok ! La casquette de traviole, les lunettes sur le front, le numérique armé, je vise…
Vroum ! Vroum ! Le bruit strident d’un engin téléguidé passe au-dessus de ma tête. Je me retourne, j’écarte les mirettes. Rien. Je n’ai pourtant pas la berlue et je n’ai fait aucun excès. Etrange !
Je ne désarme pas. A nouveau, je cadre la forteresse dans mon viseur.
Vroum ! Vroum ! A deux poils de ma bille.
Je sursaute. Rien à voir ! Ce n’est pas possible ! Je ne souffre pourtant pas d’une cataracte précoce ! C’est à devenir dingue !
Vroum ! Vroum ! Cette fois, j’ai mes agresseurs dans mon collimateur. Ils sont deux : des oiseaux ! Un couple d’hirondelles. Qu’est-ce que j’ai fait au bon dieu pour leur taper à ce point dans l’œil ? Elles se livrent à un drôle de numéro. Je les regarde d’un mauvais œil. Dans un premier temps, elles se laissent porter par le vent, redressent, amorcent un retournement et tombent sur moi comme la foudre. J’ai intérêt à ouvrir le bon œil car le temps de plier les genoux, voilà que les kamikazes me rasent le cuir du crâne. Les hirondelles se remettent en formation, balancent les ailes, prennent de l’altitude et plongent à fond de balle en reprenant ma tronche comme cible. Elles piquent du nez. J’esquive l’attaque.
Vroum ! Vroum ! Je suis victime d’un couple de voltigeurs qui renonce d’avoir les yeux en face des trous ! En effet ! La séance de rase-mottes va se poursuivre encore un bout de temps avant que les passereaux constatent enfin que je ne suis pas une grande sauterelle.

Comme Monsieur Jourdain, je venais d’expérimenter un nouveau tape-à-l’œil, une variante de miroir à alouettes, composé d’une simple paire de lunettes et du boîtier alu du numérique. Il ne me reste plus qu’à faire breveter le système !

Rideau.

Cadran solaire à Arvieux

Plus que jamais, là, où les coqs picorent les étoiles, commence le bonheur.
 

Eté 2004




Commentaires de :
Jean-René FARRAYRE
CC n° 5996

Je viens de lire avec plaisir ton récit concernant "la Traversette"... Cela m'amène à apporter quelques précisions....

D'abord Charles VIII (ce devait être un obsédé des hauteurs) c'est lui  qui commanda à ses hommes d'escalader, pour la  première fois, le Mont Aiguille («Mont Inaccessible" jusque-là) en 1492.
Le VTT n'étant pas opérationnel en l'occurrence, ils utilisèrent des échelles et des cordes. D'après un ami, qui vivait à l'époque  de ce roi, c'était pour éblouir une belle ! Mais le monarque ne s'y essaya pas lui-même (tout comme moi qui y découvrit le vertige lors d'une tentative d'escalade, de niveau pourtant à peine plus élevé que l'escalier qui conduit au portail de la cathédrale du Puy !). Le passage de la Traversette était d'évidence plus utilitaire : le pillage de l'Italie du Nord était au programme, mais il fallait passer par les hauteurs !

Quant aux hirondelles... Durant le siècle passé, dans le Turini, je pédalais paisiblement lorsque je fus attaqué par un couple, non pas d'agents de police montés sur la célèbre bicyclette fabriquée par la regrettée "Manu",  mais bel et bien par les cousines de celles que tu évoques.
Plus loin, après avoir subi leurs piqués incessants, je découvris, plaqué sur un léger encorbellement de rocher, un nid, que les courageux oiseaux s'efforçaient de défendre contre l'agresseur potentiel, que je n'étais pourtant pas... En consultant les ouvrages d'ornithologie ad hoc, je découvris qu'il s'agissait de l'hirondelle de rocher (hirundo rupestris) et qu'elle avait la particularité d'être agressive en période de nidification...De fait mes voisines, des hirondelles de cheminée (hirundo rustica), s'attaquent à mon chat, lorsque le nid est plein, mais pas à moi.  

21.08.2012
farrayre@wanadoo.fr

 

bruffaertsjo@skynet.be

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