José Bruffaerts           Ecrivain Public
 

Sur la Piste aux Etoiles

 
 

 

Avant de tourner définitivement la page de www.cyclojose.be, il me reste des doléances à formuler.  Des griefs qui sont à prendre au second degré car le sujet s’écarte de la finalité du blog.  C’est l’actualité qui m’a forcé la main.  Après plus de 65 ans d’activité sportive dont 15 ans de football, 3 fois autant de vélo relayée par des disciplines saisonnières comme la natation, la varappe et le jogging, mon plus grand bonheur sportif est assurément la performance singulière prestée au pentathlon militaire.  Il faut savoir que 6 semaines avant la compétition, je n’avais jamais entendu parler de cette grand-messe sportive de l’armée.  En vérité, il n’y a pas lieu d’en faire un fromage puisque je m’y classais à grand-peine au 33me rang.  Une misère !  Et pourtant, je me demande encore quel eût été le résultat si je n’avais pas été terrassé par un terrible coup de Trafalgar au terme de la 3me épreuve !

Mon histoire remonte à plus d’un demi-siècle, aussi est-il clair que ma mémoire trébuche ponctuellement. Il se fait qu’à l’époque de mon service militaire, dès mon transfert en Allemagne, je me suis mis à écrire comme un dératé précisant, en temps réel, mon emploi du temps et les potins dans un courrier quotidien. Cette frénésie, entretenue pendant les 9 mois de mobilisation à Brand, m’a permis de colmater les blancs de la chronique.  En outre, elle s’imbriquait parfaitement dans mes fonctions de rond-de-cuir et de SDS (Special Delivery Service = estafette du courrier militaire postal).  Cependant, quand je passe le feuilleton au peigne fin, il est encore des petits riens qui sont passés au travers les mailles de ma vigilance.  Des souvenirs sans faille, ça n’existe pas.  Pour preuve, deux événements capitaux (en partie) échappent à ma remembrance : les Fastes du bataillon (commémorations festives) et le branle-bas du quartier lors du Printemps de Prague.  Excepté ces 2 épisodes, l’essentiel de mon séjour a été sauvegardé passant au crible la description d’une panoplie d’activités parmi lesquelles mes occupations au secrétariat et autres besognes telles que mes responsabilités de chef de chambrée, de délégué au ménage, ainsi que les passe-temps entièrement consacré au football et autres exercices physiques.  Et encore !  Sans oublier les heures d’étude consacrées aux concours et examens pour une éventuelle embauche à l’Administration.  Une initiative qui finira par un engagement à la Ville de Bruxelles au lendemain de ma démobilisation.  À ma grande surprise, la prose m’apprend aussi que j’appréciais volontiers me reposer des fatigues à venir !  Le trou noir complet (ce qui est troublant) car je n’ai pas le moindre souvenir d’une sieste, ne fût-ce d’un instant.  Bref !  Ces banalités s’avèrent vite fastidieuses même si elles me sont d’une grande utilité à c’t’heure.  Sans ma "stylomanie" effrénée, le pourquoi du comment de ma participation au pentathlon militaire n’eût jamais été élucidé.

Extrait de lettre du 09/04/1968

" …Il paraît (selon mon capitaine) qu’on discute ferme au sujet de ma pré-sélection pour le pentathlon militaire.  En fait, il ne s’agit que de volontaires et je serais le seul soldat à participer sans l’avoir demandé.  Mon capitaine n’est pas fort d’accord à ce propos et, est actuellement en train de chercher le responsable qui m’a enrôlé sans mon consentement.  C’est une histoire qui n’est pas terminé et qui fait grand bruit dans notre compagnie.  Ce qui est une certitude, c’est que demain je jouerai au football …"

Extrait de lettre du 10/04/1968

" Je participe au pentathlon militaire.  Tout s’est arrangé malgré de nombreuses discussions.  Ce sont des épreuves que l’on fait sans sac à dos, ni mitraillette.  La tenue est celle d’un gymnaste." …

Réponse à l’énigme : je devais cette sélection au moniteur sportif qui croyait dur comme fer en mes aptitudes physiques.

  

Le pourquoi de mon témoignage : les reportages (fin juillet 2021) repris par l’ensemble des médias à propos du stage para commando de la Princesse Élisabeth de Belgique.

Appelez ma réaction comme vous l’entendez, mais il n’entre pas dans mes intentions de discréditer les mérites de l’héritière au trône.  Bien au contraire !  Cependant le sourire enjôleur affiché par notre jolie Princesse tout au long du parcours du combattant tel que les médias l’ont proposé à leurs lecteurs, banalise les obstacles et ridiculise les soldats d’élite qui ont parfois du mal à boucler le circuit.  Il me semble qu’un rictus de circonstance eût été plus correct ! Moins académique, moins protocolaire, moins cérémonieux !  Que ce soit un cas de belgitude constitutionnelle ou un gag du Palais royal, qu’importe le scoop eût été identique.  Aussi, faire part de la nouvelle, c’est normal ; en remettre, c’est trop ; le faire en envoyant un clin d’œil cyclopéen, c’eût été parfait !  Piano, n’allez pas croire que les Anciens Belges sont des sauvages !  Be cool, Babe, les Belgicains préfèrent encore et toujours le drapeau tricolore sans lion, ni coq, ni fleur.  Faites gaffe aux écornifleurs !

Qui se cache derrière ce valeureux va-t-en-guerre ?

Paparazzi au balcon

Les temps changent !  Est-il envisageable de croire que l’École Royale Militaire ait emboîté le pas à l’enseignement général ?  À savoir niveler le degré de formation par le bas (sauf pour certaines technologies) de sorte à faire front à moins d’échecs !  Quant aux médias au grand complet, ils n’ont pas loupé l’occasion pour en faire leurs choux gras.  En complément des commentaires succincts mais élogieux glanés auprès des responsables du stage, ils sont parvenus, grâce au sourire charismatique de la Princesse, à réaliser un shooting exceptionnel sur la piste d’obstacles.  La fille aînée du roi Philippe est passée maître dans l’art du maquillage et du déguisement.  Les Anges de Victoria’s Secret n’ont plus qu’à se rhabiller !  Remarquez que je relate les faits sans me laisser corrompre par une subjectivité d’interprétation.  Par contre, je doute fort que la future cheffe de toutes les Armées belges se soit forgée une idée concrète de la fonction en singeant trois fois Rambo !

1968. Événements politiques majeurs

"Walen Buiten" (Wallons à la porte) à Louvain ou le début de la fin de la Belgique, les événements de Mai 68 à Paris et le Printemps de Prague pour n’en citer que trois parmi le cortège des mouvements populaires qui ont fait florès cette année-là.  Quant à ¶¶¶ Et moi, et moi et moi ¶¶¶, je m’éveille chaque matin à 5 heures sur un air de Jacques Dutronc, mettant manu militari la dentellière de mon plafond au turbin.

Souvenirs de vieille baderne

Centre d’instruction : Caserne Baron Michel - Mechelen (Malines) (rasée en 1975)

Durée : 3 mois d’études comme à la Fac (du 01/11/1967 au 31.01.1968)

Cours théoriques : (Règlements généraux, premiers soins dans le détail, mesures disciplinaires, ordres de service de semaine, hiérarchie militaire, secrétariat, en veux-tu en voilà, fais comme ci, fais comme ça !) ; armement (fonctionnement & entretien : FN, FAL, grenades, etc.)

En extérieur : nombreuses séances de drill et de rares visites au mini centre de tir de Wavre-Ste-Catherine (arme : fusil FN – calibre .30 – 7.62mm – munitions à gorge)

 

 

En résumé : dès notre entrée au centre, tous les miliciens de la chambrée étant considérés comme de futurs planqués, l’adjudant chargé de la formation ne nous laissa aucun répit tout au long des 3 mois d’instruction.  Ni nous fit cadeau des bizutages.  Ainsi, pour occuper la soirée après une séance de tir, le juteux plongeait les fusils dans une boue gluante avec ordre de briquage intégral avant l’extinction des feux.  Le reste du temps était consacré à lustrer notre barda (vertcoter, cirer, repasser), bichonner le dortoir, revoir nos cours et exécuter des corvées diverses (garde, piquet, nettoyage des latrines à fosse simple (une cure d’air au paradis). Un bon soldat obéit aux ordres sans penser plus loin !! Point à la ligne !!

Pour mémoire, "être de piquet" signifie être à la disposition de l’officier de semaine pour exécuter les corvées d’ordre général (ex. remplir les bacs à charbon du casernement) et ce, 24 heures sur 24 non-stop pendant une semaine.

Exemples de bizutage entre miliciens : se faire virer de son lit au cœur de la nuit ou se faire enfermer dans les chiottes.  Attention ; ce dernier cas n’est qu’une fade plaisanterie à côté de l’imagination soldatesque.  La farce tournait souvent en querelle et au pugilat.  Bonjour les dégâts physiques et disciplinaires.

Message personnel

Il me semble que la levée 1967 de Malines ait été soumise à une formation plus ou moins similaire à celle des candidats sous-officiers de réserve (CSOR), sauf que l’équipe n’en avait rien à cirer de l’armée.  Nous étions tous réfractaires à 15 mois de service militaire.  Pas question de prolonger la mobilisation de 3 mois supplémentaires pour 3 ou 4 lattes et une étoile de plus.

Transfert en Allemagne : fin janvier 1968 par un froid sibérien.

Caserne d’affectation définitive : caserne Sous-lieutenant Pirotte à Brand – FBA (Forces Belges en Allemagne) – 8 BnTTR – Cie Ravitaillement – SDS + secrétariat (le tri du courrier avait lieu au quartier Tabora à Brand).

Le quartier (14 ha) était composé d’un ensemble d’ateliers destinés à la réparation du câble hertzien, des terminaux de radio, de télégraphie, de cryptographie et autre engin électromagnétique du génie.  Exceptés les 3 à 4 services communs à toutes les garnisons (CSM – RAV – Infirmerie), il ne disposait pas de cuisines, ni de commodités.  Aucune infrastructure sportive ni récréative. Pas de journaux ni TV.  Aucun confort sauf des toilettes aérées par les courants d’air et des salles d’eau précaires.  Quant au réfectoire, c’était un coupe-faim, un temple de malbouffe !  Un local tristounet où 2 préposés s’affairaient derrière une table sur tréteaux réglables pour satisfaire l’appétence de la piétaille.  Comme la tambouille provenait de la caserne voisine, on la transportait dans de gros bidons scellés hermétiquement afin de la garder au chaud.  Un mode de transport identique pour tous les aliments.  Même pour les frites !  Résultat : quand les frites arrivaient à destination, elles n’étaient plus qu’un tas visqueux et ramollis impropre à toute consommation humaine.  Bon appétit !

Le dédale de baraquements en bois ressemblait davantage à un camp de concentration qu’à une caserne.  La nuit venue, le quartier n’abritait plus que des fantômes c’est-à-dire les "gamelles" de service et la poignée de miliciens qui rêvaient de démobilisation.  Vu sa mission technique, les ateliers occupaient un nombre restreint de miliciens dont 90% de l’effectif travaillait comme mandaille ou manœuvre non qualifié.  Les quelques ploucs restants glandouillaient dans l’un ou l’autre secrétariat ou étaient en mission quelque part en campagne.  Ce qui était mon cas puisque je maîtrisais la langue de Goethe. Une de mes clés de sortie. Il est arrivé que lors d’une relève de recrues, nous étions en tout et pour tout que 2 péquenots encadrés par les VC (volontaires de carrière) de garde comme seuls occupants de la caserne et ce, pendant un week-end ennuyeux à mourir.

Tracas et tourment du milicien : gérer ses permes et rêver de démob.  Une fièvre qui devient de plus en plus stressante au fur et à mesure de l’approche de la quille.  En ce qui me concerne, comme je bénéficiais de bons de sortie à la pelle, je n’ai jamais éprouvé le besoin de faire le mur.   Le sport intensif étant l’incontestable sésame de ma bonne fortune.  En outre, élevé à la dure par un père policier, la discipline militaire ressemblait à une récréation par rapport au régime spartiate patriarcal. Notez que, sous le toit de l'Auguste père, tout fait et geste ordinaires, comme brancher la télé ou prendre un fruit, était soumis au préalable à son approbation. Par contre, aucune intervention tout au long des études ! Il m’a donc suffi d’un rien pour marcher au pas.  Une adaptation sans douleur !  Un demi-siècle plus tard, les effets privatifs engendrés par la pandémie COVID-19 qui pénalisent, voire traumatisent une majorité de la population mondiale, ne m’affectent pas des masses. Comme quoi, les rigueurs d’antan ont des côtés positifs.

En gros, si on fait abstraction du salut au drapeau, les corvées et la privation de gérer son emploi du temps en toute liberté, on se serait cru à l’usine, les syndicats en moins.

Culture Box

Lecture préférée du corps de garde : le magazine "Nous Deux".  Un hebdomadaire de roman-photo similaire aux chefs-d’œuvre de la collection Harlequin.  Des titres sublimes comme "La rencontre de minuit", "Possession nocturne", "Enivrantes retrouvailles" et tant d’autres.  La réserve de revues s’empilait jusqu’au plafond du corps de garde.  Un pactole littéraire inestimable mais quelle barbe !

Un repas de roi

D’après le magazine "Le Vif" du 27.08.2020, la responsable de la formation annonçait que de la Princesse ne bénéficierait d’aucun traitement de faveur.  Par contre, il est gros à parier que tous ses compagnons d’armes aient été triés au préalable sur le volet, que le langage particulièrement graveleux de la garnison lui ait été épargné et qu’elle n’a pas fait les frais des petits bizutages tant appréciés des VC et des conscrits des chambrées voisines.  Autre certitude !  Celle de n’avoir jamais savouré un p’tit dej dominical composé d’œufs et de cramique (=pain brioché belge fourré de raisins secs). Les denrées boulangères, conservées dans une énorme  huche à pain en treillis, étaient envahies par des colonies de cancrelats mordorés.  Si en Colombie, les fourmis grillées sont un délice recherché, il est évident que le quartier de Brand valait le déplacement pour ses feuilletés d’œufs de blattes sur canapé de Corinthe.   La preuve !  Les trouffions, qui mangeaient de bon appétit à s’en faire crever la panse, venaient des quatre coins de la Belgique.  Un régal, coté 3 étoiles au Michelin qui, honni qui mal y pense, était offert gracieusement par l’État belge qui reculait devant aucun sacrifice.  Une délicatesse cependant que notre brave Princesse n’aura jamais le bonheur de connaître sauf si elle se recycle dans le BIO garanti 100% !  Quoi qu’il en soit, le bon peuple belge est assuré que la dauphine ne souffrira pas de TSPT c’est-à-dire de Troubles de Stress Post-Traumatique.  N’est-ce pas fantastique !

Le festin de Babette

Les temps changent.  À qui le dites-vous !  Un demi-siècle après le repas du roi, les insectes font recette au resto !  Un repas de choix !  On dit qu’ils sont bourrés de protéines.  Aussi, vais-je vous proposer un authentique retour aux sources.  Suivez le syllogisme !  Les mouches sont des insectes.  Elles raffolent et se gavent de détritus et d’excréments de l’être humain.  Par conséquent, l’homme en consommant des insectes absorbe son propre miel protéiné.  Quel merveilleux fumet !  Après vous, je vous en prie !  Ici, je prends le risque de me faire descendre à boulets rouges par les défenseurs du BIO.  En revanche, si le maître queux enrobe les bestioles de chocolat, le consommateur ne s’apercevra même pas de la présence d’une famille de "blattela germanica".  Encore faut-il qu’il ne se trompe pas de pot de choco à tartiner !!  C’est-si-logique-que-les-mots-rendent-les-cris-vains.  Quel que soit vot’ choix, cette assertion rend hommage à l’Antoine qui avait proclamé à la cantonade : "Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme".  Un bon mot que le découvreur de l’oxygène expérimenta à contrecœur en se faisant trancher le kiki, un beau jour de mai.  C’était au temps où Paris guillotinait …

Mr. Propre recalé par un bleu !

Ponctuellement les chambres faisaient l’objet d’une inspection pointue.  Les chefs de chambrée étaient cependant chaque fois prévenus à l’heure et à temps.  Pour éviter les retombées négatives, tous les gars étaient mis à contribution pour astiquer le dortoir et les annexes, ranger les effets, vérifier le carré de la literie, présenter une tenue impeccable (ceinturon vertcoté, bottines cirées, vêtements propres, BD repassé), etc.  Bref, le grand nettoyage de la chambre et le décrassage à fond des occupants.

Au jour "J", un rayon de soleil inonde la pièce.  Il n’y a pas un grain de poussière qui flotte dans l’air.  La chambre blinque de partout.  Un vrai bijou !  Voyant le topo, le capitaine, secondé du juteux de service, ne s’attarde pas et fait mine de quitter la chambre.  Soudain, son regard se fixe sur E., un compagnon de fortune natif de Fontaine–l’Évêque.  Le malabar doté d’un QI d’une huître a déjà eu maille à partir avec le présent capitaine.  Compte tenu des antécédents, ce dernier revient sur ses pas et se plante devant mon lascar, le reluque et lui adresse un sourire en coin.  Il va lui chercher des poux, ça ne fait pas l’ombre d’un pli.  Tout est parfait !  Il lui intime alors d’ouvrir son kitbag qui est entreposé, comme il se doit, sur son armoire personnelle située à la tête du lit.  Le sac est bourré comme un œuf.  L’éthique et le respect d’autrui m’interdisant de fouiner dans les affaires privées, les sacs et les valises n’avaient pas fait l’objet d’un contrôle lors de la "grande lessive".  Et puis, qui eût pensé que l’inspection évoluerait en une perquisition !  Était-ce un abus de pouvoir du capitaine ?  Qui sait ?  Qu’importe, mon acolyte de chambre s’exécute sur-le-champ.  Au moment où il entrouvre le sac, une odeur fétide nous prend au nez.  Un remugle âcre d’un mélange d’huile, d’acide et autres distillats de pétrole.  Sans parler des odeurs corporelles astreignantes !  Je trépasse de honte dès l’apparition des premières loques.  Personne au monde ne se risquerait de plonger sa main dans ce ramassis de crottes.  Après quelques sous-vêtements crasseux où Dash et Ariel n’ont plus aucun espoir de s’imposer, apparaît une espèce de bandonéon figé dans du vert-de-gris qui, au final, s’avère être un bleu de travail squatté par une vermine laborieuse.  La salopette pétrifiée dans sa crasse reposait dans le kitbag depuis plus de 10 semaines parce que mon compagnon s’était vu refuser toutes ses demandes de permission.  La nausée nous cloua le bec.  Comme la laverie du quartier était logée aux abonnés absents, le couac fut étouffé.  Bref !  Aucune retombée !

Plus rien à vot’ service, chef ?  Négatif, r-a-m-p-e-z !

La foire aux galons (sic)*

Une paire de lattes (ou sardines) pour service exemplaire et une étoile filante pour les rogatons.

Le Prix Pulitzer militaire, une récompense attribuée à un milicien qui s’est distingué par son aide à des collègues en mal d’amour.

*"Sic itur ad astra = C’est ainsi que l’on s’élève vers les étoiles"

Un naïf chez les niais

À de rares exceptions, la plupart des miliciens du quartier étaient des DI 70 c’est-à-dire des garçons dont le degré d’instruction flirtait avec le strict minimum minimorum d’instruction.  Aussi le samedi matin étaient-ils pratiquement tous conviés à retourner sur les bancs d’école.  Et du coup, me v’là promu au grade de sergent major de la plume au service des dysorthographiques.  Une vocation obsolète qui refaisait surface alors que l’Occident croulait au même moment sous les révolutions culturelles !  Le Big Bang aura lieu un peu plus tard !  La progéniture de mes colocs de chambre allait venger leurs vieux en créant un langage texto révolutionnaire qui relègue les soucis du " Bon Usage" aux oubliettes.  Vive la linguistique, exit la grammaire !

Keskia, pa ?  Tkt ras, mci m’fi ! A+   Tout est dit ! N’y a qu’à se taire !

Les temps changent.  Résultat des courses : "Les derniers d’antan sont devenus les premiers de nos jours".  Rien de neuf, Matthieu l’avait prophétisé.  Quant au bouquet, tous les gars de la chambrée ont toujours soutenu que les miliciens de la caserne voisine de Propsteierwald (poseurs de ligne) étaient tous des retardés mentaux.  Une assertion que je n’ai jamais vérifiée.  La triste vérité c’est qu’il a fallu que je sois caserné à Brand en 1968 pour me retrouver parmi autant de jeunes gens francophones qui cannibalisaient aussi férocement la langue française.  Purée de punaises !

Test de combat & Parcours du combattant : 2 épreuves à ne pas confondre.

Le test de combat est un ensemble de 5 exercices physiques imposés à tous les miliciens.  Ces exercices sont à refaire tant que le résultat n’est pas positif :

grimper à la corde - sauter un mètre en hauteur - sauter deux mètres en longueur - porter un homme sur le dos sur une distance de cent mètres et courir neuf kilomètres en moins de septante minutes.

Tous les exercices sont à exécuter en "battle-dress".  En abrégé : c’est une cure d’air pour un sportif mais qui risque de dégénérer en un vrai calvaire pour un sédentaire ou un intoxiqué du mégot.

Quant au …Pentathlon militaire,

Il s’agit d’une compétition inter-bataillon dont les meilleurs éléments sont sélectionnés pour participer à un tournoi international.  Les 5 épreuves se disputent contre le chrono et des scores sont imposés par l’organisateur sous peine d’élimination directe sauf pour le cross final.

Aussi, un sportif, qui espère faire un carton, doit combiner agilité, force physique, équilibre et endurance sur la piste d’obstacles ; précision et adresse au lancer de grenades et au tir au fusil ; style et vitesse en natation et en cross.  Admettez que ça n’est pas rien !  En réalité, c’est une compétition destinée aux corps d’élite comme les paras, les commandos, les gendarmes, les carabiniers et les chasseurs ardennais.  Les autres unités sont présentes pour booster le nombre de participants.  En fait, il est impossible de se classer honorablement sans une P.M.S (Préparation militaire spéciale).

Préliminaires

En tout et pour tout, les participants de notre unité ont bénéficié de 3 trainings partiels sur la piste d’obstacle d’Eupen, aucun exercice de tir au fusil, ni de natation (le brevet de natation élémentaire suffisait apparemment pour être sélectionné !!!).  Une préparation réduite à sa plus simple expression, autant dire "mission impossible".

Faut stipuler que la piste d’obstacles d’Eupen n’était qu’un pâle reflet pour évoquer le parcours du combattant.  Quant à se familiariser avec l’ensemble des engins et des obstacles, "forget it" puisque moult difficultés n’y étaient pas représentées.

En un mot, je suis persuadé que le coach avait fait le deuil de son équipe bien avant le coup d’envoi de la compétition.    

Casernes et lieux concernés par le pentathlon (06/06 au 15/06//1968) + bref aperçu des épreuves.

Rassemblement et hébergements des athlètes : Caserne Rolin – Etterbeek (En tant que régional de l’étape, j’avais l’autorisation de loger en dehors de la caserne.  Du coup, je n’ai assisté à aucun briefing ni débriefing des épreuves !)

1er jour : épreuve du lancement de grenades – Plaine des Manœuvres (dite Plaine d’Ixelles) située en face de la caserne Géruzet – Etterbeek

Réussir en l’espace de 3 minutes un score déterminé sur un lancer de 16 grenades factices à des distances de 20, 25, 30 et 35 mètres.  Les cibles sont constituées d’un cercle intérieur d’un rayon d’un mètre et d’un cercle extérieur d’un rayon de deux mètres.  En cas réussite, lancer au moins une grenade au-delà des 40 mètres.

Incroyable mais vrai !  Le jet de grenades provoqua l’élimination massive de +/- 50% des compétiteurs.  Un véritable jeu de massacre !  Pour ma part, j’ai bien cru que le dernier lancer m’avait carrément déboîté l’épaule !

1er jour bis : épreuve de natation – Caserne Géruzet – Etterbeek

Immédiatement après le jet de grenades, direction la piscine de la caserne située en face pour parcourir les 50 mètres comportant 4 obstacles.  Une formalité qu’un nageur ordinaire réussit les doigts dans le nez.  Un réel défit pour un plouc qui nage comme un fer à repasser.

2me jour : épreuve du parcours du combattant : Plaine des Manœuvres.

Une formation pointue et un entraînement régulier sont quasi indispensables !  Or, notre team composé de 10 athlètes ne maîtrisait pas toutes les techniques pour surmonter les chausse-trappes de la piste d’obstacles.  L’élimination nous pendait en permanence au nez !

Il s’en est fallu d’ailleurs d’un poil pour que je passe à la trappe. Pour une boulette idiote !  Au bout du passage de la poutre d’équilibre, un exercice sans aucune difficulté, mon pied avait mordu la marque fixée au sol.  La gaffe m’a contraint à bisser l’exercice.  Mais voilà !  Je redresse la barre en moins de temps qu’il ne faut pour le dire.  Quel sac de prétention, direz-vous !  Affirmatif !  Pourtant, Je n’en rajoute pas un iota !  Où une flopée de commandos se sont plantés, je boucle le circuit avec un obstacle extra à mon compteur !  "Ah !  Si le Ciel l’eût voulu par la suite …"

¶¶¶ Tu me crois ou tu me crois pas, Tu crois, c’est bien, Si tu crois pas, tant pis, Si tu crois pas, j’en ferai pas une maladie ¶¶¶

Les parcours diffèrent parfois selon les pays quoique la plupart des obstacles restent identiques.  Sauf erreur, il me semble qu’il y a 20 obstacles à franchir pour une distance de 500 mètres dont de véritables vacheries, pour les gabarits de moins de 1.70 m.  Quant aux grands échalas, ils ont tendance à coincer dans la séance de ramping.  Temps de parcours : 3 minutes (sous réserve).   Parmi les épouvantails, je ne suis pas prêt d’oublier la table irlandaise (ou finlandaise), le trou (la fosse) et les 4 poutres asymétriques en hauteur (cf. photo).  Mais les autres murs d’assaut et steeple-chase ne sont pas davantage des cadeaux pour premiers communiants.

Pour info : la table irlandaise fait 2 m de hauteur et 0.45m de largeur.  C’est une des difficultés techniques majeures du circuit.

À noter qu’aux Forces Françaises, les engagées féminines sont exemptées de franchir la table irlandaise, le gué, le mur d’assaut et la fosse.  Qu’on le veuille ou non, cette décision indique que les hommes et les femmes ne jouent pas dans la même pièce.  La messe est dite !

Comme indiqué auparavant, la piste a failli se payer mon scalp et m’a gratifié d’un calvaire pire à celui ressenti lors de la chute vertigineuse dans le massif de l’Assietta.  Effondré, anéanti, dégobillant tripes et boyaux à l’abri des regards, j’ai carrément piqué une tête dans un état zombique pour le restant du tournoi.  À souligner que ma détresse laissa le monde entier impassible, tant les officiels que la troupe et mes coéquipiers.  Tous m’évitaient comme si j’étais un intouchable.  Et en prime, je chopais la crève de ma vie.  Le bon à valoir pour l’abattoir !

3me jour : épreuve du tir au fusil – champ de tir de Leopoldsburg (Bourg-Léopold)

Départ groupé de la caserne Rolin, transport en autocar pour la Campine.

Bon à savoir.  Observez qu’un fusil d’assaut ne ressemble en rien à un fusil à pompe de chasse, ni de ball-trap, ni d’une carabine pas plus qu’au jouet à air comprimé du forain.  Cette remarque à la con a été l’origine du second jeu de massacre !

La compétition : à 200 m de la cible, le participant est mis à l’épreuve sur la précision (10 tirs en 10 minutes) et la vitesse (10 tirs en une minute).

Depuis la veille, je ne pense plus, je n’entends plus, je délire en silence !  Le coach croit toujours en moi et décide de me prendre en charge d’un bout à l’autre du tir.  Il me fourre un FAL (fusil automatique léger) en main, un fusil d’assaut que je vois pour la première fois de ma vie.  Il s’installe dans mon dos et me dicte en sourdine le maniement de l’arme.   Je suis ses instructions au pied de la lettre.  Pour mémo, quand on exécute un tir à longue distance, il y a lieu de tenir compte d’un tas de paramètres dont e. a. les facteurs environnementaux.  Or, le fusil n’était pas équipé d’une lunette informatisée qui prend en charge la distance, la température, la pression atmosphérique et l’élévation.  Il y a donc intérêt à aligner parfaitement la hausse et le guidon.  Pas de bouchons d’oreilles anti-bruit, ni de trépied.  Couché sur le ventre dans l’herbe, je claque des dents à tel point que je tremble comme un parkinsonien en phase terminale. Nonobstant mon état délabré, je tire mon quota de balles.  Zut !  J’oublie de mentionner le super bonus qui me tombe sur la tronche dès le premier coup de feu.  À chaque tir, le casque bascule au-delà du bout de mon nez.  À la différence de Cyrano, mon nez n’étant pas une péninsule, il faut systématiquement remettre le pot de chambre en place alors que le chrono s’affole et m’empêche de l’ajuster à mon tour de tête !

En dépit de tous ces avatars, le contrôleur valide ma prestation.  Une performance miraculeuse alors que la grande faucheuse réduit l’effectif des participants au quart du nombre des engagés.  M’avait-on refilé une arme magique qui transforme un pioupiou en tireur d’élite ?  Suis-je un sniper inné ?  Pourquoi pas ?  Mon premier carton, je l’ai réalisé à la fin des années 40, le jour de la Saint-Nicolas en étrennant un fusil à air comprimé propulsant des mini-fléchettes.  Visant mon grand-père, camouflé à une distance honorable derrière un poêle de Louvain, j’ai failli l’éborgner en lui plantant une fléchette dans le gras de la joue déviée in extremis par la monture de ses lunettes.  R.I.P. Les bicycles de Pépère !  Plus de peur que de mal mais Game over pour le restant de mes jours.

En vérité, je ne me suis jamais senti aussi mal de ma vie après l’exercice de tir à Bourg-Léopold !  Je navigue au seuil de l’agonie !

4me jour : course de cross-country - 8 km – Parc de Tervuren – caserne Panquin, autrefois les écuries du château de Charles de Lorrain.

Un regret

Compte tenu de mon état fiévreux, c’est un miracle d’avoir franchi la ligne d’arrivée.  Et dire que j’avais placé toutes mes espérances dans le cross pour améliorer mon classement final.  Hélas la loi des vexations m’attendait au tournant de l’épreuve.  Mon apothéose se métamorphosait en un cortège funèbre : ¶¶¶ Il est crevé, Plus moyen de l’réparer …¶¶¶

Une semaine plus tard, je vivotais encore et toujours dans un état comateux.  Pas de souvenance, ni de réminiscence. ¶¶¶ Noir c’est noir, Il n’y a plus d’espoir …¶¶¶

L’écœurement

La mentalité para m’a profondément déçu.  Aucune charité sportive !  À croire que tous les paras éliminés en cours de compétition s’étaient ligués pour me huer et me ridiculiser tout au long du parcours alors que je crapahutais comme un mort vivant, beaucoup plus mort que vif.

Le satisfecit

Ordres journaliers de la garnison – page 6  Bn30/68 du 20/6/68

« Sur les 10 engagés aux jeux 1968, le COR Goossens et le soldat milicien Bruffaerts sont les seuls à avoir terminé avec succès le tournoi.  Toutes nos félicitations.

Pour mémoire : 5 unités terminent avec un minimum de 4 hommes sur 26 engagés.

Engagés : environ 200 hommes. +/- 50 lauréats. » 

Réception de complaisance par le Major Somme, le Chef de Corps.

Honneurs et vifs encouragements aux VC éliminés au fil des épreuves et compliments lapidaires aux 2 lauréats miliciens en transit.

Bref ! la grand-messe militaire n’était pas la tasse de thé du Chef de Corps de la garnison de Brand.                                                                             

« Désolé, Herr Major, je ne recommencerai plus ! »  Dont acte.

Quant à la course aux étoiles,

Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes puisque la Belgique possède dorénavant une héritière au trône qui portera bientôt un uniforme de lumière constellé de barrette et d’étoiles.  En conclusion, je cède volontiers la parole à l’Ecclésiaste (1:2/1:14) qui traduit ma pensée et mon épitaphe :

Ainsi passe la gloire de ce monde pendant que je cours après le vent.

À chacun sa vérité !

Nov.2021

 

bruffaertsjo@skynet.be

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