José Bruffaerts       Ecrivain Public

 

 

"Bicycling  remake  in  Luberon"

 
 


 

Comme je l’ai mentionné à maintes reprises, un voyage n’est jamais un autre.  En plus, les déconvenues sont fâcheuses quand les espérances ne répondent pas aux prospectives. 

Ainsi, le Haut –Verdon, qui est un lieu magique, m’a laissé cette fois sur ma faim.  Donc, pas question d’en faire un plat.  La raison en est simple.  S’il n’a pas répondu  à toutes mes attentes, c’est parce que tout simplement le  sublime des années antérieures a été gommé par la répétition.  Tout compte fait, une des meilleures façons de découvrir les gorges du Verdon, c’est d’emprunter la « Route des Crêtes » qui est une boucle de 23 km qui part et revient à La Palud sur Verdon.  Les nombreux belvédères et autres points de vue donnent au touriste une fidèle représentation du parc régional du Verdon.  Maintenant, la grande boucle autour des gorges qui compte près de 100 km,  reste une randonnée de toute beauté.  Quoi qu’il en soit, les gorges du Verdon ne se décrivent pas, on les découvre de visu ou par un diaporama.

Les Gorges du Verdon 
 

Le parc du Luberon  émarge aussi en demi-teintes.   Ayant délibérément écarté de mon itinéraire les villages hauts perchés auréolés de prestige,  les autres villages et hameaux sans le moindre grade reposent dans une quiétude monacale.  Si, d’une part, c’est un remontant pour les gens stressés, pour les autres cela s’apparente à un enterrement de première classe.  Autre observation : les boutiques et autres magasins sont la plupart du temps  des véritables joyaux restaurés avec le meilleur goût.  Par contre, si un besoin de s’élever vous prend, vous constatez alors que les étages au-dessus de l’échoppe sont très souvent restés à l’état d’origine c’est à dire  aux limites de la salubrité.



Le Cirque de Vaumale
 

Quant aux monts du Vaucluse et au « Pays d’Albion », il y a peu de choses à raconter.  Le Ventoux, tout le monde le connaît.  Une réflexion, toutefois !
Vingt-cinq ans plus tôt, j’avais découvert l’ascension du mont chauve via Malaucène.  Cinq ans plus tard, je bissais l’ascension au départ de Bédoin.
Le seul versant,  qui m’était inconnu, restait celui de Sault.  Donc, comme j’avais brûlé des étapes au cours de la présente randonnée,  il me fallait absolument tuer le temps puisque mon arrivée n’était prévue que deux jours plus tard à St Saturnin-les-Apt.  Bivouaquant près de Sault, re-grimper le Ventoux ne m’enchantait pas du tout.  Vingt-ans plus tôt, je m’étais juré de bannir au grand jamais cette diabolique ascension. Par ailleurs, perdre mon temps sur le plateau d’Albion ne m’inspirait pas des masses non plus.  Aussi dès lors  pourquoi pas remettre en question  ma motivation de cent colliste ?  Suis-je aujourd’hui encore l’ombre de moi-même ou plus que l’ombre de mon ombre ?  Pour répondre à cette inconnue, une seule façon de le savoir : prendre mon bâton de pèlerin et aller à Canossa comme ce bon Henri IV.  (A ne pas confondre  avec  celui de la poule au pot !)  Pour ma part,  je suis allé à Crevant ! Ma dernière lombaire, celle qui s’est fait écrabouiller à Sestrières, se mit à brûler de tous les feux de l’enfer.  Dès le Chalet Reynard, elle me supplia de mettre fin à ce calvaire.   Pour soulager un peu mes douleurs, je  résolus de mettre mon esprit à la recherche des stèles plantées à la mémoire des victimes du monstre.   Ceci dit, jusqu’au Chalet Reynard,  le versant au départ de Sault ressemble à une promenade de santé en comparaison  avec le chemin de croix venant de Bédoin.  Le retour au bercail via Flassan et N-D des Abeilles n’est pas un cadeau non plus !

En résumé que retenir de ce périple sur les routes de la lavande ?

Libre à vous de me croire ou non, mais c’est un fait divers qui fut à la base d’une rumination.  Une démarche insolite, du moins dans le cadre du cyclotourisme.  Elle eut lieu en fin de randonnée.  A moins de 5 km du but,  à St Saturnin-les-Apt, au bout de huit jours de route, je fus témoin d’un haut fait dont je ne soupçonnais pas qu’il puisse exister. 

J’avais réduit la dernière étape  à la seule ascension du col de la Liguière.  Une montée qui, du côté de Sault, s’apparente plus à un faux plat qu’à un col.  Rien de commun avec le versant opposé qui est du style plutôt raidard.
J’arrive à St Saturnin à l’heure de table.  Il fait très chaud.  Comme on ne m’attend qu’en fin d’après-midi, me voilà dans l’obligation de lanterner.  Je m’installe sous la tonnelle de "L’Estrade" qui propose une formule qui a l’heur de me plaire.  N’étant pas gourmand, ni gourmet, de maigres rogatons me suffisent pour faire ripaille à condition qu’ils soient arrosés.  Je fais confiance à un petit rosé bien frais du pays pour les faire descendre.  Deux tables plus loin, cinq cyclos festoient au vu des cadavres qui jonchent sur les tables.  Trois hommes et deux femmes.  Tous sont tirés à quatre épingles en look cyclo du plus bel effet. Hormis une touche originale.  C’est à dire le bonnet à la Bob Marley,  aux couleurs jamaïcaines, qu’arbore l’un des commensaux.  Ça cause le verbe haut.  Et ça cause dans la langue de Shakespeare.  Après un bref coup d’œil  à leurs vélos, je constate qu’ils sont tous pareils munis d’un sac de guidon et d’une feuille de route sous plastique.  L’ensemble est nickel,  sans éclaboussure ni poussière.  Ma randonneuse, équipée de ses besaces fatiguées, détonne parmi ce beau monde.  Trop content de siroter mon rosé, ces détails me glissent néanmoins sur le cuir de mon crâne.  Je me prélasse. Rien ne peut troubler ma méridienne.
Tout à coup survient un jeune homme en tenue de ville tenant dans une main un cubitainer d’eau et dans l’autre une substance énergétique.  Et voilà qu’il se met à remplir les bidons de tous les vélos.  Sauf le mien, bien entendu !  Mes voisins ne lui adressent pas un regard.  Quant à mes mirettes, elles ne se dé-scotchent pas du quidam.
Quelques minutes par après, il réapparaît mais cette fois en tenue cyclo.  Aussi bien nippé que les autres.

En deux mots, il m’apprend que mes voisins sont d’origine australienne.  Qu’ils ont acheté dans le Luberon une randonnée « clé sur porte ».  Qu’il est responsable de la logistique et de l’intendance.  C’est à dire qu’il orchestre la réservation des hôtels, l’acheminement des bagages, les visites des sites, les réparations éventuelles et tout ce qui concerne de près ou de loin la bonne fin de la randonnée.  Bref, il n’y a qu’à pédaler et encore !  Il n’y a pas de voiture suiveuse mais une navette récupère aussitôt le participant à la moindre défaillance. Les imprévus sont balayés, les ennuis écartés et les aléas sont bannis puisque le programme est réglé comme du papier à musique.  Sont-ils pris en charge lorsque le temps se met à la pluie ?  Je n’ai pas poussé mes consultations jusque là !

Quoi qu’il en soit…
Serait-ce l’avenir du voyage itinérant à vélo ?  En tous cas, c’est incontestablement la formule idéale pour les adeptes du moindre effort cérébral !   Elle plaît, ça ne fait pas l’ombre d’un doute !
Mais alors… Que devient dans tout ça le plaisir de la préparation de l’itinéraire ?  Que deviennent les surprises et les charmes de la découverte ?  Que devient la satisfaction de se déplacer en toute autonomie ?  Quid les initiatives ?  Quid le bonheur de la réussite ? Quid le contact humain ?  Etc.... 
Si la survie du voyage itinérant à vélo est à ce prix, je m’empresse de conclure par un sonnet fort connu mais trop souvent mal interprété puisque le poète y fait l’éloge du retour et non du départ :

« Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,
Ou comme celui-là qui conquit la toison,
Et puis est retourné, plein d’usage et raison,
Vivre entre ses parents le reste de son âge ! »

 

Toutefois,  comme je ne compte pas baisser pavillon d’ici tôt, les « REGRETS » n’ont toujours pas
cours dans mon chef !

 

Printemps 2006


bruffaertsjo@skynet.be

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