José Bruffaerts       Ecrivain Public

 

 

LE BLUES DU CYCLOTOURISTE

 
 

 

 

Qui peut se vanter parmi nous, d’avoir écrit une page, une phrase qui ne se trouve déjà, à peu près pareille, quelque part ?
Ce mot d’auteur (Guy de Maupassant), qui m’interpelle, m’invite à établir une corrélation entre la littérature et le vélo.

C’est vrai que tout a été pratiquement dit sur le vélo. Comme je l’ai déjà écrit auparavant, les multiples récits sur le tour du monde à vélo, les chroniques des voyages itinérants, les commentaires à propos de brevets et de banalités n’intéressent que les fêlés moulés dans le même plâtre. Il n’y a que l’originalité qui puisse créer l’événement, accrocher l’attention et susciter la participation.

Un exemple en littérature. « Mes Vélos... » d’Eddius (P.Fabre) m’ont littéralement transporté au septième ciel où la truculence du roi VELO fait du soleil sa loi. J’arrête ma tirade passementée de fil blanc. Le terme juste, le style désopilant, le verbe débridé, l’hyperbole délirante et la prose bourrée de dérision et de fantaisie en font un livre captivant. Les deux tomes suivants, quoique de la même veine, n’ont plus le vernis de l’originalité. Quant au dernier volume, je n’accompagne plus du tout l’épicurien dans son « Chemin à trois voix ».
Aussi, j’ose avancer qu’un écrivain ne compose qu’un chef-d’œuvre dans sa carrière. La suite n’est plus que remplissage. Encore faut-il le faire ! Et c’est pas peu dire !

L’épopée en vélo – je pense, ici, aux exploits des coureurs du Tour de France- est un genre qui conquiert, passionne et fait vibrer le lecteur. Hélas, il n’y a pas d’épopée en cyclotourisme quoiqu’en pense A.Tignon quand il affirme que les cyclos sont des héros qui s’ignorent. Encore faut-il s’entendre sur la définition du héros ? Le « Gaulois », qui laissa sa peau dans le Ventoux, était-il un héros ? Le randonneur, qui se farcit la traversée du Galibier sous la neige, est-il un héros ? Suis-je un héros parce que je me suis relevé, seul, démantibulé et cassé de partout, après ma chute vertigineuse dans l’Assietta parcourant cahin-caha les 50 bornes pour parvenir aux quartiers des urgences du premier hosto civil ? Pour ma part, sincèrement, je n’en suis pas convaincu mais je respecte les croyances et les convictions de tout un chacun.

Mon stylo s’est une fois de plus emballé. Aïe ! Aïe ! Peut-être est-il déjà trop tard pour parler du parallèle que je veux établir entre la littérature et le vélo ? Mon laïus n’ayant pas eu la faculté de polariser toute l’attention du lecteur. Stop ! Mais encore.
En un mot comme en cent, quoi qu’il en soit, ce qui est vrai dans l’écriture, l’est tout autant pour le vélo.

A la veille du deuxième millénaire, que pense le cyclo de la base des organisations qui lui sont proposées par les instances officielles ?

En comparaison à la décennie précédente, il faut reconnaître que les fédérations offrent, à l’heure actuelle, un programme étendu d’activités. Cette palette n’a jamais été aussi large. Flèches, diagonales, relais, espoir fédéral, cyclotouriste complet, et caeteri et caetera, en veux-tu en voilà se prolifèrent, se multiplient et embellissent la panoplie ludique du cyclotouriste. Quelle aubaine ! En effet, mais...
Mais... toujours selon le même schéma, la même formule immuable qui a fait ses preuves. Les challenges se succèdent et se ressemblent comme deux gouttes d’eau. Tant et si bien que moult cyclos font un petit tour et puis s’en vont. Réaction légitime, puisque quand ils en ont fait un, la boucle est bouclée. Or, comme en littérature, c’est ici que les organisateurs doivent faire appel à leur génie inventif. Je n’ai pas la prétention de connaître la clé de l’énigme mais le sujet mérite d’être creusé. Au lieu de multiplier les brevets à l’infini, il est peut-être préférable que les réalisations existantes soient améliorées, peaufinées et remaniées par une touche personnelle des organisateurs ( ex. itinéraire commenté s’inspirant du folklore, de l’histoire locale, d’un fait divers, etc. ; remise à l’ordre du jour d’un brevet selon les règles du rallye ; ré-instauration des brevets de régularité ; etc...).
En principe, le cyclo décroche le wagon quand il atteint le point de saturation qui se profile d’autant plus vite que la répétition est assommante.

Dans certaines confréries, quand le cyclo décroche l’étoile de la route du bonheur, paradoxalement il récolte le fruit amer du spleen parce qu’il est conscient que sa satisfaction ne sera qu’un moment de joie éphémère par rapport à sa quête laborieuse. En outre, si c’était un challenge de très très longue haleine ( ex . Cols Durs, BPF, brevet à dénivellation,…), le risque est grand que le lauréat se retrouve quelque peu déboussolé dans ses habitudes et fragilisé par la même occasion puisqu’il doit revoir ses itinéraires hebdomadaires en fonction d’un nouvel objectif. En a-t-il encore envie ? Sans tomber dans le travers de rallonger sans fin le challenge dès qu’un futur lauréat se profile à l’horizon, j’apprécierais personnellement de la part des organisateurs qu’ils recourussent à une astuce pour que les béatifiés puissent garder un suivi de l’épreuve au sein de la confrérie ( ex. un bulletin de liaison, …).
Des confréries telles que le Club des Cents Cols ou les Randonneurs Sans Frontières e.a ont parfaitement compris la problématique et voient annuellement leur potentiel de membres croître et embellir.

Il y a quelques années le V.T.T faisait figure d’innovation. A l’époque, il fut décrié par une fraction de cyclotouristes. Aujourd’hui, il est passé dans les mœurs et ne fait plus l’objet de critique. Que du contraire ! Quoi qu’en pense le puriste, il lui faut se rendre à l’évidence que le V.T.T a agi comme adjuvant en insufflant un renouveau dans le monde du vélo. Actuellement, l’onde de choc s’étant calmée, le V.T.T nous laisse de beaux restes en héritage. C’est un adepte « non convaincu » du vélo tout terrain qui vous le confesse. L’avenir appartient aux esprits ingénieux !

En implorant que Sully ne se retourne pas dans sa tombe, je conclurai en disant que l’originalité et l’innovation sont les deux gamelles du cyclotourisme.

J'en termine par un clin d'œil à l'intention de nos voisins du nord. Il n'y a pas de raison qu'ils échappent au blues du cyclotouriste.

En 1892, le journal "Le Soir" écrivait : " La traduction du mot vélocipède continue à tracasser les linguistes. "Il y a douze ans, nous écrit l'un d'eux, au Congrès néerlandais, un membre gantois avait proposé le mot trapradsnelvoetlooper, beaucoup plus euphonique que le mot trapsnelwielenderijtuig de votre correspondant. En opposition du mot cité plus haut, un autre membre du Congrès, professeur d'Utrecht, proposa, dans un but d'abréviation, le mot rapsasa qui convenait on ne peut mieux et s'accommodait à la façon d'expression particulière à la langue, bien que sans étymologie, sauf pour la syllabe rap (vite). Mais aucun des deux mots ne fut agréé."

Avouez que nos amis l'ont échappé belle !

 

Automne 2000
 

bruffaertsjo@skynet.be

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