José Bruffaerts       Ecrivain Public

 

 

L'ARTZAMENDI

 
 

 


 

         Le "Pays basque" est une destination de rêve pour les cyclogrimpeurs.  Il n'y a qu'à ouvrir une carte du sud-ouest pour se rendre compte de la pépinière de sommets qui émaillent le paysage.  Parmi les belvédères,  l'Artzamendi fait figure de géant.  Il force le respect par ses mensurations : 926m - max.22% - 10km.  Bref, une redoutable ascension en perspective !

Septembre 1993.
La montagne de l'ours (= l'Artzamendi) est un épouvantail  qui convient particulièrement aux adeptes du fort pourcentage. Prudence, humilité, circonspection et temporisation sont autant d'épithètes dont tiendra compte le grimpeur averti. Les cyclos autochtones préfèrent d'ailleurs le contourner.  Pour ma part, cette éventualité était exclue puisque que je l'avais pointé comme un de mes objectifs de mon périple dans les Pyrénées Atlantiques.
La lecture de carte renseigne deux accès.  La voie directe est une route étroite qui s'échappe du village labourdin de Itxassou qui se prélasse au bord de la Nive.  Une légende de Roland y est attachée.  "Les armées de Charlemagne conduites par Roland longeaient la Nive lorsqu'un rocher leur barra la route.  Roland se saisissant de son épée Durandal y ouvrit une brèche qui permit à ses soldats de passer.  Roland laissa sur le rocher la trace de son pied."
Le chemin surplombe les berges de la Nive jusqu'à l'auberge Ipharra et au Pas-de-Roland.  Ensuite, il s'enfonce sous le feuillage d'une colonie de châtaigniers en remontant le cours d'un torrent capricieux.
Le second accès, qui virevolte et voltevire sur la carte, enleva mes suffrages au moment de l'ébauche du parcours.  Un col supplémentaire à épingler est une aubaine sur laquelle aucun chasseur de cols ne crache.  Cependant, j'ignorais que mon choix se portait sur un travail de Sisyphe.



Pic de l'Artzamendi

Espelette, village réputé du Labourd pour ses piments. Les chapelets de piments rouges qui contrastent avec le blanc des murs chaulés des maisons donnent au village un aspect de douceur et d'harmonie.  En général, tous les villages basques sont de véritables petits chefs-d'œuvre de couleur qui respectent tous les accords et qui enchantent absolument tous les touristes.  A la sortie de l'agglomération en direction de la départementale D249, un cyclo se hissa à ma hauteur.  Cinq bonnes minutes plus tard, mon compagnon me planta au pied de mon épouvantail.  Prenant à droite de la ferme, qui est perchée sur une butte, et obliquant immédiatement à gauche, j'entrais dans le vif du sujet.  En effet !
La route s'élève brutalement jusqu'au col de Legarre (349m).  Sans répit.  Ce type de redoute me plaît sur toute la ligne.  Au plus raide, au plus vite la montagne de l'ours prendra place au tableau des trophées.   Hélas…la vente de la peau fut une opération remise à un peu plus tard.   Une déception m'attend au sommet du col.  Une courte descente démolit une première fois mon raisonnement.  Mais très vite ma moulinette reprend son cours.  La route se love dans un cadre très ouvert sur les flancs du  Pic de Monderrain qui est une éminence blottie à l'ombre du géant.  Soudain une vertigineuse descente balaie mon bel effort en me renvoyant à la cote 150 sur la voie directe. Un véritable Trafalgar !
Dégoûté, écœuré, scié, j'entreprends toutefois de poursuivre ma progression sans marquer un temps d'arrêt. Six bornes de moulinette : voilà le plat de résistance affiché.
La route se hisse petit à petit dans une combe boisée qui s'infiltre au cœur de la montagne.  Le souffle court rend mon coup de pédale moins fringant.  La chaîne de la bécane se tord de douleur !  A sa façon, bien sûr ! A chaque tour de manivelle, elle émet un gémissement à fendre le cœur.
Un replat sympathique, exploité par une ferme dans les moindres recoins, décompresse un instant les artères de ma pompe.  Et…de retrouver aussitôt une dernière fois le murmure du torrent au détour d'un virage.  Une fugue plus que fugitive !  Je débouche dans un univers désertique où, beaucoup plus haut,  des installations de télécommunication communient avec le gris du ciel.

Sommet de l'Artzamendi

Ferme Esteben

Altitude 480m.  Ultime croisée des chemins. A droite, la route pour le gîte d'étape "La Ferme d'Esteben", à gauche la direction du relais du centre de télécommunication.  Il  reste 2750m à parcourir à une moyenne supérieure de 16% avec des pointes entre 19 à 22%.Chauffe Charly !
Le chemin s'envole littéralement au ciel.  Je roule au pas comme Eddy.   Quand il va au lit !
Au col Mehatche (719m) – soit à mi-parcours du dernier tronçon - un faux plat me donne de l'air pour me concentrer sur le jump final.  La route ressemble à un patchwork composé  de bouses, de crottes et de crottin de pottock, l'ensemble rehaussé, ça et là, d'une cocarde de choucas. Mais d'un ours,  aucune trace.
Le vent frais, qui caresse la crête de la montagne, glace la sueur qui ruissèle sur mon visage.  Mon maillot imbibé de transpiration frigorifie mon échine.  Je suis congelé.
Le relais apparaît dans toute sa splendeur.  Observation valable uniquement pour le crapahuteur,  observation incompréhensible pour un quelconque badaud !  Quelques instants plus tard, je force l'enceinte du complexe.  Deux secondes plus tard, pas une de plus, un gardien fait son apparition et me fait gentiment comprendre de vider les lieux. Sur-le-champ !   Immédiatement et sans discussion.  Allez, allez !   Contraven… et pas de tra la la.
Comme je m'exécute de bon cœur, il me tire le portrait avec les montagnes ibères en toile de fond.
Curieusement, la descente abrupte de la finale me paraît plus spectaculaire que ne l'a été la montée.
Une volée d'étages plus bas, au col de Veaux.  Un litron de rouge et une demi-baguette fourrée de tomme à la ferme d'Esteben mettent un point final à cette matinée mémorable.  Bonne adresse à retenir après une telle envolée. D'autant appréciée qu’un ravitaillement venait à point nommé avant l'ascension de l'Urzumu, le second sommet de la ronde.

En résumé, l'Artzamendi  et le Mont Ventoux se ressemblent comme deux frères jumeaux.  C'est donc un sommet à user avec modération

Septembre 1993

 

bruffaertsjo@skynet.be

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