José Bruffaerts       Ecrivain Public

 

     
 

 

Les Pyrénées Orientales

 

« LE MERVEILLEUX SAULT DES PYRENEES »

Voilà bientôt vingt-cinq ans que je sillonne les routes montueuses de France et de Navarre en cyclo-randonneur itinérant. De préférence en solo et surtout sans intendance, ni de près ni de loin.

Mais qu’est-ce qui peut bien motiver un homme à trimbaler tout son saint frusquin comme un âne bâté alors qu’il existe des formules trois étoiles qui déchargent le cycliste de tout souci excepté celui de pédaler ? Une chance encore qu’il faille tourner les manivelles ! Le débat n’est pas ouvert. Pas question ici de me justifier à l’aide d’une argumentation fouillée ! J’estime simplement que randonner en solo, c’est la seule et unique façon de s’immerger dans une région afin d’y lever un coin de voile sur un des aspects insolites et insoupçonnables. Point.
Le second préalable est une observation récurrente. Je constate que le pourcentage des pentes en montagne s’accentue davantage chaque année. Résultat ! Les étapes se raccourcissent au détriment de la dénivelée qui, elle, reste constante. Encore heureux que le poussif, lui aussi, monte au ciel ! C’est ce que je suis encore parvenu à faire cette année dans le Conflent, le Pays de Sault, le Capcir et la Cerdagne. Des régions qui nichent aux confins de la France à proximité de la principauté d’Andorre. Elles se situent plus précisément dans les départements des Pyrénées Orientales, de l’Ariège et de l’Aude. Comme il n’entre absolument pas dans mes intentions de vous conter par le menu les péripéties de ma chasse aux cols, opération fastidieuse pour le non initié, je m’en vais vous brosser une sorte de portrait chinois à raison d’un volet par étape.
Il me semble que c’est la méthode la plus adéquate pour édifier un tant soit peu la curiosité d’un homo sapiens.

Mon entrée en matière commence par une digression sans rapport avec les Pyrénées. Le périple avait été programmé pour une durée d’une dizaine de jours. Comment expliquer dès lors ma soudaine décision à ramener l’escapade à 7 jours ? Sans préméditation, sur un coup de tête ! Or, le chiffre sept n’est pas le nombre quelconque que vous vous imaginez ! A titre d’information, notez que les exemples se bousculent au portillon. Ainsi, on a les 7 péchés capitaux, les 7 jours de la semaine, les 7 merveilles du monde, les 7 collines de Rome, les 7 frères d’Ephèse, etc. La durée de mes voyages qui couvre très souvent une période de 7 jours, fait-elle l’objet d’une simple coïncidence ou d’un sortilège ? Je commence franchement à me poser des questions. L’avenir me l’apprendra-t-il un jour ?

Le Canigou (2784m) : la montagne fétiche des catalans

Mosset : au pied du col de Jau

S’il ne fallait garder qu’un souvenir de l’étape n° 1, ce serait un élan de cœur inespéré qui, au soir d’un après-midi de tramontane dans le nez, est intervenu au moment où mon épigastre criait famine. Nous étions un lundi. Tous les commerçants de Sournia, auberge y comprise, étaient fermés pour des raisons multiples. La cata, le ramadan dans le désert, rien de consistant à me mettre sous la dent. Faisant part de mon désarroi à un couple de villageois, celui-ci me proposa spontanément deux œufs que je refusai pour des raisons non avouables. L’homme et la femme ne s’en tinrent pas pour battus et ils me contraignirent à accepter une boîte de cassoulet. J’avoue platement que ce plat, accompagné d’un quignon de pain, a été apprécié davantage que ne l’eût été un menu gastronomique proposé par les quatre toques de « Comme chez Soi »

S’il ne fallait garder qu’un souvenir de l’étape n° 2, ce serait les différents témoignages des
autochtones au terme de la journée « vélo-mélo-dodo » Pour commencer, un « Rmiste » ou un informaticien mis au travail qui avait trouvé son pied en se recyclant dans l’apiculture. Ensuite, la tenancière du foyer qui sans retenue me débobina les réalités quotidiennes d’un village moribond dont la moyenne d’âge évoluait entre septante et nonante ans. Escouloubre, le village en question, est devenu une cité fantôme, que maire, curé, médecin et commerçants ont déserté à tout jamais. Les jeunes s’enfuient parce que la région n’est pas rentable. Les habitants guettent le passage des commerçants ambulants ou bien ils doivent se taper « Carrefour » qui se trouve à trente bornes de là. La solidarité n’étant pas un vain mot dans cette contrée, il a été dressé entre riverains un inventaire des médicaments en cas d’urgence. Quant au curé, il est devenu un intouchable. Il est même arrivé qu’un sacripant ait soulagé un congénère avant le grand sprint final. Ici, les kilomètres n’ont pas d’importance, on compte en heures et en journées. Ainsi, l’agriculteur du coin, qui possède plusieurs cordes à son arc, est obligé de faire ses salaisons à l’autre bout de la montagne, dans une autre vallée. Une fois par mois, il consacre une partie de son temps à cette activité dans un établissement reconnu par l’état. Ses enfants se sentent mal dans leur peau. Ils ne pensent qu’à une chose : décamper au plus vite. Mais les vieux tiennent bon. Il me faut souligner en « magicolor » la convivialité exceptionnelle qu’on ne retrouve plus que dans ces régions épargnées par le tourisme de masse. Ainsi, l’hôte s’inquiète de votre gîte suivant ou de l’ouverture d’un col en passant un coup de fil en stoemelinks * à un contact du coin ! Aussi, soyez « classe » et éliminez à tout jamais « bouseux » et « cul terreux » de votre viatique vocabulairiquement vôtre. Ces gens-là, mon bon monsieur, ont une bonne longueur d’avance sur nous en savoir-vivre.

S’il ne fallait garder qu’un souvenir de l’étape n° 3, ce serait une pause d’exception au « Relais du Pays de Sault » En matinée, une très courte étape en ligne pour assurer le gîte. Pique-nique au bord d’un ruisseau, ensuite un après-midi, sous un soleil de plomb sur un coteau verdoyant truffé de cols et de sangliers en vadrouille. En fin de balade, quelques bières éclusées au « Logis de France » pour assurer une saine réhydratation. Quant au relais, il est essentiellement fréquenté par des marcheurs randonnant sur les sentiers cathares. Après m’être tapé la cloche grâce à d’excellentes cochonnailles et autres cochonneries arrosées de pinard au goût de framboise, je m’invitai à la table de Stéphane pour un brin de causette. Ce dernier se fera un plaisir de me tirer le portrait le lendemain au moment du départ et de me le faire parvenir par e-mail quinze jours plus tard.

 

Départ matinal du "Relais de Sault"

Col de Pailhères (2001m)

S’il ne fallait garder qu’un souvenir de l’étape n° 4, j’hésiterais entre les magnifiques panoramas qui s’échelonnent de la Chioula au port de Pailhères et une anecdote insolite qui relève de la superstition, voire de la sorcellerie. Quid ? Des points de vue et des paysages grandioses, il y en sera encore question plus loin. Donc, priorité à l’historiette du gri-gri.
L’après-midi était déjà fort avancé. Des roulements de tonnerre grondaient sur les sommets des environs. Pas très rassuré, je m’enquis des coordonnées d’un gîte-auberge situé en hauteur dans la Forêt des Hares et je mis toute la gomme pour y arriver avant que St Pierre ne s’avisât à ouvrir les vannes célestes. « Le Cabanas » était tenu par un jeune homme d’une petite trentaine d’années. Un ancien marin. Dans la salle de resto, un poupon, qui n’arrêtait pas de sourire, gigotait dans son relax les petons en liberté. Comme les clients brillaient par leur absence, le patron se confia et, petit à petit il se mit à me conter ses déboires. C’est ainsi que je sus que la mère s’était tirée à la naissance de la môme et que par voie de conséquence, il se trouvait seul à s’occuper de la petite Océane. Dur, dur de pouponner et de tenir de concert un établissement hôtelier ! D’autant qu’il affichait complet pour le w-e.

« Quelle foire pour les clients si jamais le bébé se met à brailler à cause de ses dents » lui susurré-je ! Chez nous, les bébés ne crient jamais quand ils font leurs dents ! , me répliqua-t-il du tac au tac. Et, sans se faire prier, il me dévoila son système « D » A la naissance d’un enfant, le père se met en quête d’une taupe. Une fois repérée, il la capture ( !) et il lui soustrait sa dent qui est cousue dans une layette que le bébé porte en permanence sur lui. Cqfd ! La méthode, en pratique à Quérigut, doit être efficace car je n’ai pas entendu le moindre pleur de toute la nuit.
 

Cime de la Coma Morera (2205m)

Lac de Matemale - Station des Angles

S’il ne fallait garder qu’un souvenir de l’étape n° 5, ce serait la visite nocturne d’un compagnon inhabituel dans un dortoir. A ma connaissance du moins. En ce vendredi après-midi, la forte circulation routière qui régnait dans la vallée du Carol m’incita à remettre au lendemain les ascensions du Puymorens et de l’Envalira. Le gîte équestre de Porta répondait parfaitement à mes convenances. Idéalement situé au pied du col et, à proximité, un snack pour la pitance du soir. Et, une fois de plus, le bâtiment entier pour moi tout seul. En outre, il était gardé par deux cerbères, en l’occurrence un husky et un énorme berger des Pyrénées. Le reste de la journée s’écoula à glander en attendant le dîner du soir et le repos du guerrier.
Au cœur de la nuit, je fus réveillé par un bruit familier dont je devinai aussitôt l’origine. Celui que fait les éperons d’un clebs quand il grimpe un escalier. Bref, c’était le berger qui était tout simplement venu me tenir compagnie et qui s’installait confortablement sur le lit voisin où mes frusques se trouvaient étalées. En outre, deux secondes plus tard, il me gratifiait d’un concert de soupirs entrecoupés d’envolées de ronflements majestueux. Un véritable toutou de rêve !
Au petit matin, comme je l’entendais descendre les escaliers, je me dépêchai pour lui ouvrir la porte pour qu’il allât se soulager dans la cour. Peine perdue, je n’avais pas fait trois pas que le chien avait déjà forcé la porte d’entrée d’un grand coup de museau. Signe prémonitoire, je m’étais levé du mauvais pied.

S’il ne fallait garder qu’un souvenir de l’étape n° 6, ce serait un sentiment de déception, de dépit, de déconvenue, de désenchantement, de bide, de zéro pointé, d’échec, de raté, de désillusion voire de trahison. En l’occurrence, mon renoncement volontaire à arpenter les pentes du port d’Envalira. Or, il faisait radieux, ce matin-là. Le soleil irradiait la montagne et tout baignait dès les premières pédalées. Le col de Puymorens, qui décrit des lacets somptueux dès la sortie de Porté-Puymorens, m’avait tout à fait conquis d’autant plus que la circulation y était pour ainsi dire nulle. Tous les éléments se trouvaient réunis pour faire de la randonnée un carton. Errare…En effet !
Ma bonne humeur et mon bel entrain fondirent comme neige au soleil quand m’apparut, en contrebas du versant opposé, l’interminable cortège de bagnoles, autocars, caravanes et motards qui crapahutaient à l’assaut du Pas de la Case. Du jamais vu de ma vie. J’avais oublié que nous étions un samedi. Les Français se bousculaient pour faire leurs emplettes « hors taxe » dans les ventas du Pas de la Case. Une colonne sans fin, à côté de laquelle la caravane du Tour de France aurait fait piètre figure, se hissait à un train de sénateur dans un nuage d’oxyde de carbone. L’écharpe de gaz, qui traînait sur l’Ariège, aurait anéanti un bataillon de carabiniers-cyclistes.
Etant seul, à fortiori il ne faisait aucun pli que j’y rendrais l’âme si je me lançais dans cette purée empoisonnée. La mort dans l’âme, après quelques minutes d’hésitation toutefois, j’optai pour le demi-tour à droite qui chamboulait quelque peu mon itinéraire.
Après mûre réflexion, j’ai probablement fait une connerie. Plus tard dans la journée, je suis parvenu à me consoler dans l’air vivifiant du Coume Morera qui plafonne un rien au-delà des 2200m.
 

Col de la Lhose (1861m)

La Cerdagne : au coeur des Pyrénées catalanes

S’il ne fallait garder qu’un souvenir de l’étape n° 7, ce serait les époustouflantes échappées du versant méridional du col de la Lhose. Un col dont j‘ignorais jusqu’à son existence un mois plus tôt. Le retour à la végétation méditerranéenne n’est certainement pas sans influencer ce coup de cœur. Les jours précédents, une ribambelle de panoramas plus somptueux les uns que les autres m’avait déjà soûlé. Le Canigou, la montagne fétiche des Catalans, s’était découvert sans retenue à mes yeux. Du haut du col de Roque-Jalère, il m’avait ébloui par sa magnificence ; au pied du col des Millères, c’est sa majesté qui m’écrasa. Les épingles à cheveux du port de Pailhères et « l’altiplano » de la cime du Coume Morera ont forcé mon admiration. Le premier vous coupe le souffle et n’a rien à envier aux grands cols suisses ; le second m’offrit un vaste diaporama sur les Pyrénées espagnoles. L’aire de récréation au sommet de la Chioula m’invita à la détente dans un cadre de toute beauté. Mais il n’y a pas que les hauts lieux qui aient droit de cité, les vallées ne manquent pas de charme non plus. J’exclus néanmoins la merveilleuse combe de la Cerdagne où la circulation est beaucoup trop dense à mon goût. Sans parti pris, je lui préfère les sources de l’Aude, voire la vallée fermée d’Aunat dans le Pays de Sault. Un endroit paisible qui remonte la machine du temps. L’épicerie est ouverte deux heures une matinée par semaine. Le boulanger et le boucher se promènent d’un village à un autre. Le pharmacien a élu domicile au diable près d’une voie à grande circulation. Ça, c’est du réchauffé, je l’ai déjà écrit !

Vernet-les-Bains

Par contre, il est une ombre dans mon portrait chinois. Un lapsus impardonnable pour l’auteur. Une honte ! Il n’y a pas la moindre allusion au patrimoine historique de la région. Or, l’abbaye de St Michel-en-Cuxa et le village perché de Mosset valent le coup d’œil, voire une visite accompagnée d’une hôtesse patentée. Quant à l’ancienne capitale de l’Alta Cerdanya, dont il subsiste encore les remparts et la citadelle, elle n’est pas parvenue à emballer ma curiosité. Je m’attendais à découvrir un ouvrage d’art plus imposant, plus grandiose. Bref, un peu plus de prestige pour un Vauban ! Mont-Louis m’a laissé sur ma faim. Malgré tout, il n’y a pas photo entre ces vénérables pierres et le béton de Font-Romeu. Qu’on se le dise !

En résumé, s’il ne fallait garder qu’un souvenir du périple, ce serait l’image épouvantable de ces autos collées les unes aux autres dans l’ascension vers Andorre. Une cohue pire qu’un jour de bourse au cœur de la capitale de l’Europe ! Assurément le remède infaillible pour dégoûter à jamais le plus téméraire des cyclos. D’autre part, si c’est à ce prix qu’il faut pour monter au ciel, je préfère m’en aller pédaler en enfer.
Néanmoins, il m’est interdit de conclure sur une note négative car si le randonneur a la bonne idée de tracer son itinéraire qu’en fonction des routes blanches de la Michelin, avec un rayon de soleil et un chouia de prévoyance, je lui garantis que son escapade lui donnera un avant-goût de paradis. Ça, c’est du garanti sur facture, Arthur !



Eté 2002

 

bruffaertsjo@skynet.be

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