José Bruffaerts       Ecrivain Public

 

 

Ma  Marmotte  de  Bronze

 
 

 


Un beau matin à Bourg, ville marché de l’Oisans autrefois célèbre pour ses colporteurs, merciers avec leur hotte, fleuristes, etc.
Je crains la pagaille et la cohue du départ, et à mon étonnement, c’est tout l’inverse qui se produit.  Les sept heures sonnent à l’église quand trois mille cyclos s’élancent le cœur léger en quête d’une accessible étoile. Une aventure longue de 173 km développant 5000m de dénivellation faisant franchir les conquérants de l’inutile les cols de la Croix de Fer, du Télégraphe, du Galibier, du Lautaret et enfin les lacets de l’Alpe d’Huez.
Les sept premiers kilomètres se déroulent sur une longue et large ligne droite où la circulation est entièrement canalisée par la gendarmerie locale.
Détestant le grégarisme, je glisse en queue de peloton tant et bien qu’à La Rochetaillée,  je ferme la marche de la procession.  Juste au pied du col de la Croix de Fer. C’est aussi à cet endroit que l’Eau d’Olle vient grossir la Romanche qui, comme toutes les grandes rivières alpines, a commencé comme un torrent de carte postale et qui finit, épuisée, détournée et polluée par les turbines et les usines.
Les conditions atmosphériques sont excellentes.  Quelques nuages inoffensifs vagabondent dans le ciel.  Une belle journée en perspective !  Très vite,  dès les premiers lacets, le peloton s’égraine naturellement.  Une couverture médicale importante composée de médecins et de secouristes sécurisent l’ensemble des concurrents.  On les retrouvera tout au long du parcours à différents  points stratégiques.

Nous remontons cette région unique du Haut Dauphiné, entre les vallées de la Romanche et celle de La Maurienne,  là  où les rochers de l’Aiguille d’Arve repoussent les contreforts de la chaîne de Belledonne et du massif de la Vanoise.
Après Le Rivier, la route nous permet de récupérer l'espace d'un souffle mais,  brusquement,   elle se relève à hauteur du Barrage de Grand Maison.
A la  Combe d’Olle, je m’offre le plaisir de déserter la caravane pour me farcir hors menu les trois cents mètres qui me séparent du col de Glandon.  Vite fait bien fait, je rebrousse chemin pour rejoindre la file des pèlerins qui n'en finit pas de monter.
Le sommet de la Croix de Fer se profile à l’horizon et accueille bien du monde sur quelques mètres carrés. L’armée française,  qui est venue prêter main forte, a installé une immense tente qui abrite un poste de ravitaillement.  Les ploucs sont chargés d'une mission qui ne leur est pas courante,  à savoir celle de distribuer les aliments aux participants.
La route étroite et sinueuse plonge dans la vallée de la Maurienne.  Les voitures suiveuses sont interdites. L’initiative est appréciée par l'ensemble des cyclos qui ne se fait pas prier pour dévaler à fond la caisse. Cure d'air pur garantie sur facture, Arthur !  En toute sécurité puisque les virages dangereux sont signalés.
St Jean de Maurienne.  Les organisateurs ont choisi cette petite ville comme aire de rencontre pour les accompagnateurs.  Cette cité savoyarde doit son importance à l’ancien siège épiscopal et à son industrie d’aluminium.  Je m’y restaure pendant qu’une brave Saint-Jeannoise remplit ma gourde d’une eau tiédasse.
 

                                                                     Route d’accès au col du Galibier

 

St Michel de Maurienne.  Regard furtif aux Ets Vuillard qui m'ont  aimablement dépanné un jour de guigne.
L’ascension du Télégraphe me paraît aussi pénible que deux ans plus tôt à l’occasion de mon tour de Savoie.  Mon sac à dos martèle mes lombaires.  Je suis au bout du rouleau.  Tout en crapahutant, je l’enlève pour le reposer un instant sur le cintre.  Instable, le sac glisse et, en deux temps trois mouvements, il se retrouve coincé dans les rayons de la roue avant.  Ouf ! Le bon réflexe m'évite la chute d’extrême justesse !
L’ombre se fait rare.
Passé le Télégraphe, on surplombe les gorges de la Valloirette.
Un rien plus tard.  Valloire,  break de la mi-journée.  La meute des cyclos se bouscule autour de tables immenses sur lesquelles les organisateurs ont étalé une multitude de rafraîchissements et un large assortiment de victuailles.  Quelle belle initiative !  Ce sera nécessaire pour venir à bout du géant des Alpes.
Après Valloire, la montagne retrouve l’aspect caractéristique  des Hautes Alpes ; des pentes recouvertes d’éboulis, des prairies de fond de vallée dépourvue d’arbres, des moutons à perte de vue.



La Meije dans le massif des Ecrins (photo Laurent Gernez)


Au Plan Lachat, la route épouse le flanc de la montagne, virevolte à 180 degrés et nous hisse dans un paysage de plus en plus aride.  Un cyclo est affalé les quatre fers en l'air sur le bas-côté du chemin. Un peu plus loin, c'est au tour de jeunes cyclo-campeurs bernois qui poussent avec peine leur monture.   Cela promet du plaisir !
J’approche la Bergerie.  Un véritable dépotoir  de flacons et de gobelets en plastique indique un récent ravitaillement en eau.  Pas beau, charlot !  De gros nuages nous enveloppent maintenant et rendent notre progression moins pénible.
Le Galibier qui fait communiquer la Maurienne au Briançonnais d’une part, et à la Romanche d’autre part, est situé à la limite entre la zone atlantique et la zone méditerranéenne.  Il culmine actuellement à 2645m et depuis la suppression du tunnel, il a grandi de 89m.  C’est sans doute la partie la plus belle de toute la route des Grandes Alpes parce qu’il offre le plus beau panorama sur la Meije et le massif du Pelvoux.  Hélas !  Au sommet, où se tient  un contrôle discret, la vue baigne dans les nuages.
La route mouillée polarise toute notre attention.  Quelques virages judicieusement tracés nous amènent dans les pâturages entourant le col du Lautaret et son jardin alpin. Je me méfie des éboulis qui,  trois jours plus tôt,  obstruaient partiellement la route.
Les treize dents et les grandes soucoupes rougissent de plaisir. Nous dévalons à tombeau ouvert sur la Grave.  Cette  bourgade, qui se pique d’être un des plus beaux villages de France, contemple "Sa Majesté La Meije" qui est au Dauphiné ce que le Mont Blanc est à la Haute Savoie.  La route se relève un peu avant le lac de Chambon.  J’en profite pour enlever mon survêtement.  Le lac, qui fait la joie des véliplanchistes, est en fait un bassin d’accumulation qui s'insère dans les gouffres de la vallée de la Romanche.  Je récupère un peu dans la descente de la « Rampe des Commères » jusqu'au « Clapier », qui annonce l’ultime ligne droite avant le Bourg d’Oisans et l’Alpe d’Huez.
Seconde aire de rencontre au pied des lacets de l’Alpe.

Le lac de Chambon

Rhododendron

Je m’arrête un moment près de mon véhicule pour me débarrasser de mon sac à dos.  Je tente de me refaire une santé bien que je ne sois guère rassuré en voyant un concurrent complètement cuit qui agonise dans son auto.
Il reste 13 km à parcourir !  Une paille ! En montagne, il n’y a pas  que des cols qui font communiquer les vallées entre elles mais aussi des routes qui relient au monde des vallées sans issue ou des terrasses situées à l’écart.  C’est le cas de l’Alpe d’Huez – balcon ensoleillé au pied des Grandes Rousses- région où quand il n’y a pas de soleil, il fait nuit.  Cette affirmation n’est pas de ma plume, ce sont les prospectus du terroir qui le proclament.
Les jambes en coton, je serre les dents. Faire le vide dans ma tête, voilà ce qui reste de mieux à faire !  J’essaye d’en garder un peu sous la pédale.  Lorsque j’entame le 21me virage, je me rends vraiment compte de la signification que revêt l’Alpe d’Huez dans la grande boucle.  A la Garde, la vue s’étend sur la large vallée de la Romanche.  J’ai horriblement chaud et il me manque des kilomètres.  Lentement, péniblement le village d’Huez est atteint alors que force concurrents me dépassent.  Peu importe, poursuivant mon chemin de calvaire, je finis par me hisser à l’Alpe qui est une prairie plate offrant de magnifiques échappées sur le Pelvoux.  Derrière la patinoire, c’est gagné.  Là, une ultime restauration est proposée au cycliste.

Craignant les refroidissements, je me hâte à vider les lieux pour la vallée. Fatigué, lucide mais bel et bien bronzé.

Eté  1985

 

bruffaertsjo@skynet.be

Autres Randonnées