José Bruffaerts       Ecrivain Public

 

 

 
 

 
 

L’heure est venue de sortir le macchabée qui encombre un tiroir de mon chiffonnier depuis trois décennies.  Dites-moi franchement !  Dites-moi ce que vous pensez d’un passionné de belles-lettres, possédant de surcroît l’ADN du vélo, qui omet sciemment de relater le fleuron de ses randonnées en haute montagne ?  Quelle idée bizarre, n’est-ce pas !

Comme j’arrive à l’hiver de ma vie, il est temps que je fasse le ménage dans mes chroniques car mes carabistouilles déclinées à tous les modes et à tous les temps ne feront plus long feu.  Idem en ce qui concerne mes sornettes et élucubrations farfelues.  Aucune illusion à se faire ! Tout est voué à l’autodafé !  Or, vous n’êtes pas sans ignorer que le rêve glorieux de tout apprenti écrivain, c’est le grand roman moderne ou le récit d’une aventure extraordinaire.  L’ouvrage qui ferait dire à ses pairs : « chapeau-bas ».  Eh bien, soyez tranquilles (et vous l’êtes assurément), ce ne sera pas le cas.  Nonobstant les soins apportés aux pleins et autres déliés de mes manuscrits, ça ne pèse pas lourd.  Purée !  Purée de pouah !

Au fait, pourquoi suis-je à ce point casse-pieds ?  « Casse-couilles » est plus correct, me semble-t-il !  Désolé pour cet écart de langage mais c’est le seul qui soit de circonstance de bout en bout.  Faut dire que les bijoux de famille ont été une source constante de misères tout au long de ma vie. En outre, c’est un des endroits les plus sensibles du cycliste et, comme j’aime partager toutes mes émotions, il n’y a aucune raison que je fasse l’impasse sur ce délicat sujet.  Quant à commenter en détail mes infortunes, elles ne sont pas à l’ordre du jour. 

Figurez-vous qu’un jour, l’envie me prit de participer au prix photo-littéraire Charles Antonin de la Fédération Française de Cyclotourisme.  Un défi qui interpellait mes deux péchés mignons : l’écriture et le voyage itinérant à vélo.  Un challenge ouvert à un très large public.  Tout participant doté d’un QI quelconque et des gambettes ordinaires est un lauréat en puissance.  D’ailleurs, à vous de découvrir et d’apprécier la règle du jeu imposée par l’organisateur.  La durée du voyage itinérant est de cinq jours consécutifs ou non et d’un kilométrage au moins égal à 400 km.  L’itinéraire est laissé au choix du concurrent.  Les jours d’arrêt pour repos ou mauvais temps sont neutralisés et la durée du voyage augmentée d’autant.  La taille du récit ne doit pas dépasser les 30 pages à raison de 25 lignes par feuille.  Le reportage photo, qui comporte au minimum 15 photos personnelles, compte pour la moitié dans l’attribution des points.


 

Trente ans plus tard

Le manuscrit fait pitié.  Un texte monotone, sans rebondissement ni surprise.  Même une version révisée et corrigée resterait une copie fade et indigeste.  Bref ! À l’époque, j’ai fait une grossière erreur, celle de m’esquinter à relater un récit qui n’avait pas sa place dans cette joute littéraire.  Comment ai-je pu croire à ce miroir aux alouettes ?  Moi, le plumitif qui ne baragouinait que le « petit nègre », un micmac abscons que seuls les hottentots maso-cyclistes comprennent.  Imaginez dès lors le séisme que cela aurait provoqué si le petit « Belche » était parvenu à piquer la jaquette verte de sa Marguerite nationale, l’immortelle académicienne.  Jadis, Eddy le Cannibale, son ex-copain de banc d’école, avait revêtu par trois fois la tunique verte.  Aussi, exit une révolution de palais (ou de pas laid) !  Du balai ! un troisième larron sème toujours l’Aziza-nie.  Non !  Qu’en pensez-vous ?

Quant aux clic-clac, Kodak, ce fut une cascade de couacs en vrac.  La plupart des photos étaient floutées à cause d’une météo infecte ou d’une maladresse de la part de l’utopiste.  Des clichés tous fumeux les uns plus que les autres.  Mais que faire quand les sommets sont noyés dans la bruine !  Mon Leica pédalait dans la choucroute tout autant que moi.  Flic-flac-floc !  Et tac ! Le flop du clic !  Et pourtant, j’en avais des choses à raconter.  Le ventripotent Balzac ne serait pas arrivé au niveau de mes chevilles.  Le grand Nietzsche, pas mieux.  J’y reviendrai à ces derniers puisque je les avais épinglés sur mon itinéraire.  Chaque étape draine sa petite histoire.  Sans me casser la tête ni bouger le derche, j’aurais pu pisser de la copie jusqu’au point de dégoûter à vie les deux maîtres ès lettres précités.  À défaut d’épopée, j’aurais improvisé une mélopée intitulée « Ploc ! Ploc ! Toute la pluie tombe sur moi …  Ploc ! Ploc !» en hommage au compositeur Burt Bacharach !  Qui ça ?  Okay !  Je ne suis pas Butch Cassidy, ni Sundance le Kid.  Aussi, gommez ma cyclojose-niaiserie !

Mais voilà … La météo a court-circuité mon projet.  Elle a bousillé mes perspectives, mes illusions, mon rêve !  En effet, vous n’êtes pas sans savoir que lorsque les éléments se déchaînent en montagne, il faut garder les yeux en face des trous sous peine de s’offrir un visa pour l’enfer.  Ne souriez pas !  Je parle en connaissance de cause puisque j’ai payé cash dans le massif de l’Assietta.   À un poil près, j’ai loupé mon « In Memoriam » gravé dans le rocher du Colle della Vecchia.  Heureusement, ce matin-là, j’avais eu la bonne idée d’embarquer mon ange gardien sur mon porte-bagages.  Du coup, les choucas ont fait ceinture.

Bon, recadrons le cadavre proprement dit !  Celui du chiffonnier, of course !  Ne vous égarez pas !  Avant de poursuivre, il me faut reconnaître que je participais à ce concours pour flatter mon ego.  C’est snobinard mais que voulez-vous, je soigne l’image de mes ancêtres !  Ce qui est inexcusable, c’est le fait que je me sois fourvoyé dans ce dédale des illusions et des r-é-a-li-tés.  Le parcours du projet était deux fois trop long et la déclivité dix fois trop pentue.  Or, je souffrais d’une tendinite rotulienne aigüe aux deux genoux (douleurs brûlantes) depuis trente-trois ans.  C’est-à-dire depuis l’âge bête quand foot et autres sports s’imposèrent comme une addiction bihebdomadaire.  Le braquet énorme me rappelait sans cesse à l’ordre.  Bref, mon périple n’avait pas sa place dans cette joute.  En un mot, je m’étais trompé de plaine de jeux !

Résultat du concours : mon dossier fut classé mais pas primé ! Ce qui m’faisait une belle jambe !

« Extrait du jury présidé par Paul Fabre (lettre du 04.11.1990). … J’aurais été fort heureux de te couronner … Hélas !  Je n’ai pas ce plaisir.  Deux prix ont été décernés pour deux dossiers très proches l’un et l’autre, mais assez démarqués par rapport aux quatre autres … que tu bats au sprint puisque ton texte, non primé, termine à la troisième place, derrière les deux échappés et devant le peloton.  C’est la petite cruauté du jeu qu’est tout concours que je regrette d’avoir à t’infliger … »

Merci Eddius ne te fatigue pas !  Je reconnais la nullité du recueil.  Dès lors, cher Professeur, laisse quimper !

Et le manuscrit vola fissa aux oubliettes, le panier aux navets qui centralise « Les misères de Mister Jo ».

Au lieu de me paumer dans le grand n’importe quoi, il eût mieux valu de mettre en valeur les lauriers de mon Auguste paternel.  Car, lui aussi, avait connu ses heures de gloire !  Il suffisait d’un peu d’imagination.  Pas grand-chose.  Mais hélas, elle vient rarement au moment ad hoc du capitaine !  En outre, en tant que pilote d’automobile, il n’avait pas droit au chapitre dans le contexte du concours.

Aussi, est-ce à 80 balais, que je me mets en quête de la pépite d’or-dure !  Un challenge controversé en l’eau cul rance, ajouterait Frédéric Dard !

Stop !  Break et place à l’apéro avant le plat du jour !

Go !

Voici le condensé du menu 1989, un tracé en figure d’un double huit.

Quatre pays concernés : Suisse – Italie – Autriche – Lichtenstein

Au cœur des Alpes : vallée du Rhin – Alpstein – Haute Engadine – Alpes bergamasques – Préalpes brescianes –Basse Engadine – Tyrol (Silvretta) – Lichtenstein – vallée du Rhin

>1050 km – 10 jours de route sans aucune neutralisation, en solo, chargé comme un mulet, sans logistique, ni maintenance, ni GPS, ni GSM, ni assistance quelconque, ni réservation de gîte et des maux de genoux à pleurer en guise de cerise sur le gâteau.  Bref ! En fait, Cyclojose s'identifiait à la grenouille de Jean de La Fontaine.

Ndlr de l’auteur.  Le tracé du parcours n’avait pas été conçu au petit bonheur la chance.  Ne disposant d’aucune marge de sécurité au niveau horaire, le trajet en forme de huit était la meilleure option en cas d’un fâcheux souci.

8 jours de pluie et de bruine, plus 2 jours de temps sec.

>20.000 m de dénivelée positive

41 cols dont plusieurs hors catégorie, une dizaine de 1re catégorie et de très nombreux passages empierrés, des routes en réfection et des pistes en construction.  Comme une randonnée est un défi intemporel, il se peut qu’il y ait parmi les internautes des candidats pour ce genre de croisade.  Aussi, afin de satisfaire un éventuel appétit, j’ai repris ci-dessous un extrait du carnet de route dans lequel ils pourront tirer des plans sur la comète.  Par ailleurs, chaque étape est précédée d’une épigraphe qui introduit automatiquement une anecdote.

Principaux cols et régions du circuit

Excepté les vallées de l’Engadine, du Valdidentro et du Val di Sole où le soleil daigna montrer le bout du nez, toutes les autres étapes du raid se déroulèrent sous un ciel bas, très bas, très très bas, voire sous le déluge.

Départ et arrivée du trekking (03/09 au 12/09/1989) à Heerbrugg (vallée du Rhin – alt. 400 m – lac de Constance) – siège des usines de Wild-Heerbrugg Ag.

Mise au point

Toute ma vie, j’ai bossé pour Wild Heerbrugg Ag, une société qui fabriquait des instruments opto-électro-mécaniques de très haute résolution.  Pour mémoire, sachez que le 21 juillet 1969, la société Wild inscrivait dans son livre d’or : « Nous étions là quand Neil Armstrong a marché sur la lune ».  Après de multiples fusions, l’usine optera pour le label prestigieux « LEICA GEOSYSTEMS », elle est devenue un pion essentiel du groupe technologique HEXAGON.

Cette carte de visite ne me sera d’aucune utilité pour le concours Charles Antonin.

       

Dimanche  03/09/1989

Itinéraire : Heerbrugg – Appenzell – Wildhaus – Balzers – Coire (Chur)

Distance : 134 km – déniv. 2025 m

Météo : déluge

Gîte d’étape : Hôtel Franciskaner – Chur

Ascensions : Alpstein (Stoss-Anhöhe 972 m – Schwägalp Passhöhe  1300 m – St Luziensteig Pass  713 m)

Le déluge rhénan !

Zut ! Où est passé le sommet du Säntis ?  Ploc ! Ploc ! Flic ! flac !  Que d’eau, même pour un verseau ! J’en ai ma claque !  Le géant suissaga se plaît à figurer aux abonnés absents ! Le sommet de la Suisse orientale, culminant à 2502 m, que la communauté francophone snobe à tout berzingue, était rayé de la carte. Passez votre chemin, il n’y a rien à voir me soufflaient les sirènes.  Ce jour-là, c’est d’extrême justesse que j’échappe à la débâcle grâce à mes sacs-poubelle qui m’épargnent le retour contraint et forcé au bercail.  Quelle merdassier, mes aïeux !  Deux semaines plus tard, décorum identique sur les rampes du Rätikon.

Lundi   04/09/1989

Itinéraire : Chur – Tiefencastel – Bivio – Sils-Maria

Distance : 79 km – déniv. 2450 m

Météo : pluie fine et constante

Gîte d’étape : hôtel à Sils-Maria

Ascensions : Valbella (Lenzerheidepass  1549 m) – Oberhalbstein (Julierpass  2284 m)

Valbella prend les eaux

 Dans ma version initiale, j’évoquais brièvement le chemin du Septimer, un col parallèle à celui du Julier jadis arpenté par les descendants des Ostrogoths (Celtes et autres peuplades issues de la Rhétie) pour envahir la vallée du Rhin.  Quant aux férus d’Histoire et aux chasseurs de cols, je les invite à consulter le commentaire sur www.cyclojose.be/Septimer.html

Sils-Maria, un petit village de la Haute Engadine, me convient parfaitement pour la deuxième étape.  Le choix n’est pas innocent.  En effet, Friedrich Nietzsche s’y était ressourcé à de multiples reprises.  Halte rêvée pour les vélosophes en herbe !  Je les engage à lire « Socrate à vélo » de Guillaume Martin, un jeune coureur cycliste professionnel.  L’histoire est une farce qui introduit quelque peu à la philosophie et qui vous évite de potasser « Ainsi parlait Zarathoustra », le livre de chevet de « l’Ubermensch ». Un chef-d’œuvre de citations à dormir debout !

Friedrich Nietzsche prétend par ailleurs que les seules pensées valables sont celles acquises quand on circule.  Entièrement d’accord !  C’est à vélo que j’ai construit la plupart de mes histoires.  Mais, à force de gamberger, j’ai brouté la luzerne plus souvent qu’à mon tour.  J’ai même testé la qualité de l’asphalte avec les dents !  Un exercice douloureux qui m’a valu une gueule cassée pendant trois bonnes semaines.

  

Mardi  05/09/1989

Itinéraire : Sils – St Moritz – Livigno – Bormio – Bolladore (Sondalo)

Distance : 113 km – déniv. 1900m

Météo : givre – nuages d’évaporation – soleil partiel – nuageux

Gîte d’étape : Albergo delle Alpi à Bolladore

Ascensions : Passo del Bernina 2330m – Forcola di Livigno 2315m  - Passo di Eira   2208m  -  Passo di Foscagno  2291m

« La Diavolezza » :  la beauté du Diable

Le cliché de la Bernina-Diavolezza tel que représenté plus haut et reproduit à des dimensions gigantesques (3x4 m), a fait l’objet d’une toile de fond du cadre de mes activités professionnelles pendant près de dix ans.  Avouez, n’était-ce pas tentant de se rendre sur place pour constater de visu les dessous du massif montagneux ?  Vu sous un rayon de soleil, c’est un paysage somptueux !  Fabuleux !  Miraculeux puisque le décor de la photo de rêve se transforma en une balade au paradis terrestre.  Inoubliable !  La perle rare du périple !  

Mercredi  06/09/1989

Itinéraire : Bolladore – Tirano – Edolo – Schilpario

Distance : 99 km – déniv. 2150 m

Météo : ciel bas

Gîte d’étape : Albergo Pineta –Schilpario

Ascensions : Passo del Aprica 1176 m – Passo del Vivione 1828 m

Retour aux sources

En été 1958, mon Auguste père décide de rivaliser avec la crème des pilotes de rallyes automobiles.  À l’époque, c’était la classique Liège-Rome-Liège, surnommée le marathon de la route qui faisait le buzz.  Une épreuve touristique de régularité et d’endurance sur un parcours de plus de 5000 km nécessitant de chaque concurrent une maîtrise absolue.  Au départ, on recensait des compétiteurs de toutes les nationalités, mais encore quelques-uns des plus éminents spécialistes du grand tourisme tels que Willy Mairesse ou autre Olivier Gendebien.  À ce rallye retenu pour le championnat du monde de grand tourisme, la berline bricolée côtoyait le prototype d’exception.  Le particulier affrontait les ténors des grandes écuries.  David défiait Goliath.

 

Quelques mois plus tôt, j’avais passé une aprèm entière à polir la pipe d’admission (collecteur) au papier de verre pour augmenter la vitesse de la Peugeot 203 surbaissée de un (1) km par heure.  Début juillet, embarquement de la famille – papa, maman et moi (sans la bonne !) – pour reconnaître les cols bergamasques.  Le premier juge de paix que l’as du volant tenait à passer en revue était le passo del Vivione.  Un col peu fréquenté et mal connu.  Me voilà promu co-pilote pour la circonstance.  Pô de chance !  La reconnaissance du col n’aura jamais lieu dans sa totalité.  Par deux fois, le chemin s’était effondré en partie suite à des pluies torrentielles et le surdoué du volant avait chaque fois forcé le passage.  C’était sans compter sur l’immense troupeau de moutons absolument pas décidé de bouger d’un sabot sur une chaussée inférieure à 2.5 m de large.  Le chef nous fit sortir de l’auto et déballa tout son savoir-faire pour s’extraire du guêpier.  Les émotions ne faisaient que commencer.  J’avais 14 ans.

Jeudi  07/09/1989

Itinéraire : Schilpario – Breno – Anfo – Ponte Caffaro

Distance : 108 km – déniv. 2500 m

Météo : temps couvert et brouillard

Gîte d’étape : Pizzeria Josélito – Ponte Caffaro

Ascensions : Croce di Salven  1108 m – Passo Croce Domini  1892 m – Goletto di Cadini  1943 m – Giogo della Balla  2129 m (+ 13 cols dont 7 au-delà de 2000 m)

Le clair-obscur brescian !

Pour comprendre le paragraphe suivant, il faut savoir que dans les années quatre-vingt, la plupart des cyclistes appréhendaient les pistes empierrées. Le « gravel » n’était pas encore à la mode sauf pour les chasseurs de cols invétérés.

Ci-après, vous trouverez les commentaires du chroniqueur Jacques Seray paru jadis dans « Le Cycle » à propos de la Pré-alpine Léman-Adriatique.  Le départ de cette randonnée est situé à Thonon-les-Bains et l’arrivée à Venise.  Longue de 1200 km développant une dénivellation positive de 23000 m, elle comportait 68 cols à franchir.  Il va sans dire que le parcours initial a subi des modifications depuis sa création.

« Les Dolomites, zone d’enthousiasme pour les cyclos, qui en sont éloignés, seront concernés par l’aventure.  On y trouvera un secteur facultatif qui est tout autant un morceau de bravoure.  C’est celui qui, du passo Croce Domini, mène au-delà du passo di Cuca Chetoi par une route non revêtue (la via Maniva) offrant 15 cols…en moins de 40 km.  L’exercice cyclo-muletier rencontre de plus en plus d’adeptes.  À doses homéopathiques, il amuse tout le monde, y compris ses détracteurs.  La proposition de Georges Rossini est à prendre comme un clin d’œil.  D’autant plus que les petites routes non revêtues de sa randonnée alpine ont aidé à comprendre la pratique.  La parade est au demeurant prévue en cas de mauvais temps : un raccourci asphalté.  On pourra y gagner 12 km, mais y perdre 12 cols. »

À l’époque, j’ai parcouru rigoureusement la piste militaire dans son entièreté et il me faut reconnaître que je n’ai ressenti aucun malaise ni inquiétude.  La raison en est simple.  Dans la brouillasse qui enveloppait la piste, on n’y voyait qu’à quelques mètres. Et encore, c’était une vue floutée.  Quant à la descente abrupte sur le lac d’Idro, elle est magnifique mais pas question de lever la tête sous peine de le regretter amèrement.

  

Vendredi  08/09/1989

Itinéraire : Ponte Caffaro – Tione – Dimaro – Vermiglio

Distance : 95 km – déniv. 2100 m

Météo : soleil

Gîte d’étape : Albergo Milano – Vermiglio

Ascensions : Passo di Campo Carlo Magno  1682 m

O Sole mio

Che bella cosa …   It’s now or never … roucoulait autrefois Elvis !

Journée patrimoine, paysage reposant, sites touristiques, cadrans solaires remarquables, fresques de l’église San Virgilio de Pinzolo intéressantes, belles échappées sur le massif de la Brenta.  Le Val di Sole n’a pas volé son nom.  Quelle belle journée … ma spero che duri !

Samedi  09/09/1989

Itinéraire : Vermiglio – Ponte di Legno – Bormio

Distance : 65 km – déniv. 2125 m

Météo : nuageux, brouillard épais, pluie

Gîte d’étape : Albergo San Ignazio – Bormio

Ascensions : Passo di Tonale  1883 m – Passo di Gavia  2621 m

Douche italo sur di Valfurva

Départ matinal retardé compte tenu de la distance réduite de l’étape.  La pluie fait son apparition au sommet du passo di Tonale et m’oblige de m’abriter dans le premier abri venu.  Excepté une courte accalmie météo dans les Grisons, dorénavant j’aurai à découdre avec la grisaille jusqu’en Belgique.  Pas question cependant de modifier l’itinéraire !  Je réajuste mon tempo et l‘adapte en fonction de la chute des eaux !  Bien avant midi, je me réfugie dans un bouiboui à Ponte di Legno.  Il ne me reste plus qu’à prendre mon mal en patience !  La pluie cessa en début d’après-midi pour faire place à un brouillard opaque et de la bruine jusqu’à Bormio.  De mes frayeurs de gamin, lors de la découverte des lieux en 1958, plus d’une scène a laissé une empreinte indélébile dans ma mémoire. Les tronçons scabreux se succédaient sans cesse aux rares passages asphaltés.  Un « In Memoriam » enchâssé dans le rocher rappelait la précarité de la piste.  Quatre ans plus tôt, 18 soldats y avaient perdu la vie dû à un effondrement du chemin.  Quant à moi, je n’ai pas retrouvé l’endroit où mon Fangio de père fut contraint de s’arrêter d’urgence afin que je puisse évacuer la frousse de ma vie.  Pour satisfaire ce besoin, le père n’avait rien trouvé de mieux que de stopper devant un panneau « Pericoloso », un avertissement qui fleurissait à tous les coins de la piste.  Autant dire mission impossible pour retrouver la station de mon Golgotha.  De mon passage à vélo, il ne subsiste que la photo sommitale et deux instantanés bâclés sous un matelas de flotte.  C’est ce que les aristos appellent « prendre les eaux » !

Dimanche  10/09/1989

Itinéraire : Bormio – Umbrail – Val Müstair – Zernez – Lavin

Distance : 85 km – déniv.2350 m

Météo : Brume, pluie, très nuageux

Gîte d’étape : Pension Crush Alba – Lavin

Ascensions : Passo dello Stelvio  2757 m – Giogo di San Maria  2502 m – Offenpass 2149 m

Les débordements de la « MAIRE » Courage !

Le second épouvantail du Haut-Adige s’avéra du même coton que le Gavia.  Ecce homo, Gavia et Stelvio, même fiasco !  Alors que 3 jours plus tôt à Schilpario, au pied du Vivione, le professeur Spada m’avait tenu compagnie toute la soirée à l’auberge et s’était empressé de me saluer au petit matin.  Ici, à Bormio, pas le moindre brin de causette avec qui que ce soit. Plus un traître mot avec un individu lambda avant le terminus dans la vallée du Rhin.  De plus, mon « roadbook » s’était fait la malle.  Cette contrariété ne m’affecta guère vu que j’avais tracé minutieusement l’itinéraire en fonction des grands cols faciles à repérer.  Les trous de mémoire étant compensés par les cartes routières.

 

Au Stelvio, je fais demi-tour jusqu’au giogo di San Maria (Umbrail), traverse le Biosfera Val Müstair et fais étape à Lavin, un petit village féerique de la Basse-Engadine (Les Grisons).  À l’inverse de la montée à vélo du Stelvio via le Val di Braulio, dont le souvenir a fini au massicoteur, il en alla différemment pour le versant opposé lors de la reconnaissance topo du rallye Liège-Rome-Liège.  Après une matinée particulièrement secouée dans le Sud-Tyrol italien, mon Auguste père décide de faire un break-bistro à Merano afin de se reposer des émotions à venir.  Comme par hasard, on y rencontre son co-pilote, maître Georges, le bourgmestre de Bousval, qui se familiarise avec les routes du côté de Cortina d’Ampezzo.

Toi, ici !  Comment, toi aussi ! s’exclament les deux faux c… ensemble !! Ce dernier est accompagné de sa gendarmette et de sa fille.  Ça alors, que le monde est petit ont dû se dire les dames alors qu’elles ne se connaissaient pas du tout.  Pas question de lanterner à table.  Les hommes ont d’autres projets en tête.  Mon Fangio de père avait planifié les 48 lacets du Stelvio en début d’aprèm en guise de dessert.  Georges en fait de même avec sa suite.  Quant au dénouement, il ne fut pas triste.  Halte au sommet pour le débriefing entre les deux pilotes. Tout à coup, l’épouse du bourgmestre sort de ses gonds. Elle explose, apostrophe son homme et lui reproche sa totale inconscience et ce, à la mode d’une mégère des Marolles ou d’une rombière de la cour des Miracles. Mon père jubile en silence.  Georges, la queue basse, prend le parti de se taire.  Sa fille se bouche les oreilles.  Ma mère se terre au plus profond de la banquette arrière.  Elle fait le mort ! Pour ma part, je fais don à la nature des champignons et des œufs brouillés du déjeuner.  Bref ! le digestif est une réussite digne d’un Breughel d’Enfer.  Sur ce, les deux copains se séparent sur un large sourire et continuent leur quête comme si de rien n’était.

Lundi  11/09/1989

Itinéraire : Lavin – Nauders – Landeck – Galtür

Distance : 138 km – déniv. 1600 m

Météo : couvert, pluie

Gîte d’étape : Alpengasthof Edelweiss – Galtür

Ascensions : Norbertshöhe  1405 m – Passo di Resia  15608 m – Silvrettastrasse (en partie)

Romance suissaga (avant la sculpturale James Bond Girl)

Ce n’est pas sans raison que je faisais étape à Lavin, un petit village blotti au pied de la montagne romanche.  Il me rappelait un film des années 50 qui mettait en scène la petite Heidi.  L’histoire avait ému le gamin que j’étais en ce temps-là.  Au même moment, d’autres films d’origine germanique comme « La famille Trapp » étaient à l’affiche dans les salles obscures.  Ces productions faisaient profil bas pour remettre le cinéma allemand d’après-guerre sur les rails. À la même époque, on tournait un tout autre répertoire aux USA, beaucoup moins nunuche comme « Un tramway nommé désir ».  En France, c’était « L’amant de Lady Chatterley » qui faisait un tabac.  Début des années 60, changement de vitesse.  Heidi chrysalidée en Ursula fera exploser le box-office !  Quant au vélo, y’en a marre, je mets tout à droite nonobstant mes genoux en compote.  Comme au temps jadis, la machine s’emballe.  Bref !  Ça sent vachement les écuries !  Il pleut !  Il drache !  Cette fois, il ne me reste plus qu’à conjuguer le verbe pleuvoir à tous les temps jusqu’au lendemain.  Voilà pourquoi aujourd’hui encore, par temps de chien, je décline à tous les temps la goutte d’eau qui valse sans cesse de gauche à droite sur la visière de ma gapette.

Mardi  12/09/1989

Itinéraire : Galtür – Bludenz – Feldkirch – Altstätten – Heerbrugg -Widnau

Distance : 129 km – déniv. 800 m

Météo : couvert, brouillard épais

Gîte d’étape : Heerbrugg

Ascensions : Zeinisjoch  1842 m – Bielerhöhe  2036 m

 

Apocalypse tyrolienne !

Trop, c’est too much ! Il fait archi dégeu !  Croyez-moi ou non mais le chemin privé de la Silvretta, construite par la Voralberger Illwerke pour la production d’électricité, me donne le coup de grâce.  Je dévale la montagne à l’allure d’un gus qui ne contrôle plus une va-vite !  Rien à cirer de la bourgade de Bludenz, le siège des baillis d’Habsbourg.  Ras-le-bol de ce sale temps qui va en s’empirant et « le pire », c’est que je me tape un laborieux va-et-vient pour dénicher un hébergement.

Soirée festive en compagnie de mon alter ego des établissements Wild.

Mercredi  13/09/1989

RAS (le bol) ?  Oui mais nooonnn !!

Hors circuit – rien que pour le fun !!! (sans bagages)

Ascension : Malbun - 1600 m – déniv. 1170 m

Mot de la fin & Remerciements

Le lendemain, je remets une dernière fois le couvert dans la montée de Malbun (Lichtenstein) afin de contempler l’Alpstein.  Bernique !  Le ciel se bouchait au fur et à mesure que je prenais de l’altitude. Säntis et Alpstein brillaient par leur absence.  Mon coup d’œil sera remis à la semaine des quatre jeudis et les trois dimanches.

Et m’vlà au millénaire suivant ainsi qu’au bout de ma quête vélosophique.  Ai-je réussi le pari * que je m’étais imposé en son temps ?  Je crains que non !  La mentalité et les besoins cyclistes ont profondément évolué au cours de ce deuxième millénaire. Tant pis !  Quant à moi, grâce à mes carabistouilles, je colmate la plupart des trous de mémoire.  Comme tous mes voyages itinérants et autres séjours ont fait l’objet de commentaires, les trous de mémoire sont régulièrement recoupés par deux ou trois souvenirs qui ne racontent pas grand-chose mais qui ont le mérite de garder une cohérence de l’aventure.   Quant à ma rage d’écrire, elle est apparue dès que le gars Aloïs s’est imposé comme l’ennemi public n°1.  Si le prénom ne vous dit rien, son nom est maudit puisque ce personnage se plaît à saper les mémoires jusqu’à les transformer en légume !

Restons zen !  On vivra toujours tant que les gens se souviennent de vous quoique la perte de mémoire équivaille à perdre son identité ! La cata !

Pour bien faire, j’aurais dû regrouper l’ensemble de mes paperasses, les agencer et les épurer afin de finaliser la quintessence dans un ouvrage récréatif à destination du cyclo randonneur contemplatif !  Hélas !  C’est trop tard maintenant ! Par conséquent, comme c’est peut-être mon ultime compte rendu sur le net, je tiens à remercier tous les gens, sans distinction, qui m’ont accompagné sur « Cyclojose » au cours de ces deux dernières décennies.  À ces derniers, j’associe aussi tous les lecteurs et lectrices de la revue « Cyclo », l’organe officiel de la Fédération francophone belge du cyclotourisme, ainsi que Michel V.C, un ex-collègue de bureau d’origine flamande qui me surnommait le « BALZAK » de la fédération.  Que les francophones se détrompent, il ne s’agit pas d’Honoré, l’auteur de la Comédie humaine.  En fait, « balzak » est un mot flamand qui désigne le scrotum.  Pour ceux qui ignorent ce terme médical, permettez-moi de citer le Petit Larousse : « Enveloppe cutanée superficielle des bourses et de leur contenu, les testicules et les épididymes ». Texto, c'est un sac à couilles !  Tout est dit en deux mots ! Si vous n’êtes pas convaincus, relisez les préliminaires de ma bafouille !  Reconnaissez au moins qu’il faut de tout pour faire un monde !

Merci à Emilio et à Simone, deux personnages qui, m’ont permis de réussir le défi de « Alpes-là » en se pointant au bon moment et au bon endroit.

Les Bruffaerts au complet

Auguste, rallyeman; José, cyclo-randonneur ; Frédéric, pilote Vespa

J’aimerais remercier en particulier Dominique, mon ami et fidèle partenaire de voyage, dont vous trouverez le portrait détaillé dans la rubrique « Les Copains » sur http://www.cyclojose.be/Malte.html

Encore un grand et sincère merci à Nadia, mon épouse, pour sa patience et son abnégation.  Notez bien que vous pouvez également découvrir un éloge à ce propos sur http://www.cyclojose.be/Bicycleinmotion7.html

Un clin d’œil de complaisance aux organisateurs de brevets qui se triturent les méninges pour le bon plaisir du cyclo. Des copains remarquables au demeurant !  Les Daniel, Michel et Bernard se reconnaîtront entre autres.

Enfin, mais à des galaxies d’être le dernier, je voudrais remercier affectueusement le personnage principal sans lequel l’aventure informatique n’aurait jamais vu le jour.  Il s’agit de Frédéric, mon fils, qui s’est farci la construction du site WEB, toutes les mises à jour et mes caprices écervelés.  Pour qui, pourquoi … ?  À vous de remplir les trois points de suspension !  Cliché sommaire de l’anti-cycliste au service du cyclotourisme :

http://www.cyclojose.be/malgretoutmalgrelui.html

Quant aux photos aériennes, le moment est venu de rendre hommage aux établissements Wild  Heerbrugg Ag © qui a été le principal fournisseur de mon employeur tout au long de ma carrière professionnelle.    

Ndlr.  Les profils de la plupart des cols sont à découvrir sur le site de Climb By Bike.

 

 Bon vent,

 *Quid le pari imposé ?

Faire du vélo assidûment sans se prendre au sérieux & inciter les cyclos à consigner leurs impressions par écrit ou sur un support informatique.

 

Rédigé d’après mes réminiscences de 1958 et mes notes de 1989

Eté 2023

 

 

bruffaertsjo@skynet.be

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