José Bruffaerts       Ecrivain Public

 

 

Dans la chronique, pas besoin de se frotter la cervelle au gant de crin pour en faire jaillir des idées."

Frédéric Dard

 

Des Portes du Soleil aux Neiges Éternelles :
 

« La Randocol alpestre »

 

 
 
 

Avant-propos

Conter une aventure, articulée essentiellement autour de montées et de descentes de cols, est une tâche fastidieuse tant pour le lecteur que pour l’auteur.  D’autant quand  les ascensions sont archi connues de tous les cyclistes de 7 à 77 ans et qu’il ne s’agit pas d’une compétition.  Et quand bien même ce serait une course, un récit bien écrit ne rivalisera jamais avec les commentaires d’un radioreporter talentueux.  Comme mon projet flirte avec « mission impossible », il m’est indispensable de recourir à une astuce pour mobiliser votre attention. Ce n’est pas en bricolant la fiche technique en lui ajoutant une annotation par-ci, par-là que l’affaire sera bouclée.  Il est donc impérieux de trouver un levier qui empêche de sombrer dans la mièvrerie.  Et comme levier, rien de tel que le coup de théâtre.   Aussi ai-je fait appel à cette astuce pour animer, voire relancer le récit.  Nonobstant les aspects démesurés et rocambolesques, les anecdotes sont véridiques à 100%. En dépit de sévères saignées  intervenues lors de la rédaction, la chronique compte nez en moins quelques parenthèses. Une chance sinon je fermais boutique.     Hé "L’Homme pressé" ! (compliments à Paul), au cas où mes effets de plume t’indisposent, consulte la fiche technique ; les métaphores te donneront un goût de parfum.  Enfin, la concordance des temps n’est pas toujours respectée.  À force de faire des bonds dans le passé, il m’arrive de m’fouler parfois un poignet.  Mais, rassure-toi, jamais la menteuse !

 

Préambule

Dès ma conversion de footeux en cyclo, j’ai considéré les randonnées alpines comme le Graal du vélo.  Les toutes premières balades d’agrément ont très vite fait place à des sorties peu ou prou musclées.  En parallèle à l’effort sportif, je prenais mon pied quand je traçais un circuit sur carte.  À l’époque, c’était le Brevet des Randonneurs des Alpes (BRA) qui polarisait l’attention des cyclos impatients de se péter les varices dans les Alpes.  Dans les années quatre-vingt, les courses "Open" comme la Marmotte, la Louison Bobet, etc. attirèrent un peloton éclectique de cyclosportifs qui avaient tété, ne tétaient plus mais espéraient encore téter (en bon français, se refaire une jeunesse).  De nos jours, à côté des organisations traditionnelles, ce sont les "Cycling Classics" qui ont repris le flambeau afin de séduire les gros bras qui veulent péter le feu en montagne.  Quant à moi, la fringale de vélo allait et va toujours bien au-delà  de l’effort physique.  Elle se segmente en 3 phases : la préparation, l’exécution et la finalisation d’un défi.  Notez que la lecture de carte m’est un exercice familier depuis ma tendre enfance.  J’arrête les frais à ce propos sinon je vous tartine tout un panégyrique, en roue libre ou à pignon fixe, qui risque de vous assommer.  Bref !  Aussi, les épreuves "clé sur porte, ttc" ont-elles toujours suscité un enthousiasme mitigé à l’électron libre que je suis resté toute mon existence.  Faut dire qu’en plus des brevets d’un jour, j’affectionnais les challenges de longue durée.  En fait, le vélo me plaisait sous tous ses angles.  

Je vous propose de remonter la machine du temps.  Nous sommes en février 1983.  Je viens de fêter mes 39 ans, un nombre  idéal en numérologie qui promet la réussite grâce à de la persévérance dans les efforts.  Me v’là blindé pour la suite des opérations.  Après ma récente admission aux "Cols Durs", j’aspire figurer asap au sein du prestigieux "Club des Cent Cols".  Cinq ans plus tôt, j’avais ouvert la chasse aux cols par la Sentinelle près de Gap, de même que la conquête des bosses dans les randonnées au long cours (cf. L’Odyssée d’Omer).  Tout en respectant les règles de l’art des forçats de la route,  sans bonbon ni coup de fouet, of course !  Ainsi, me suis-je fatalement trouvé à collectionner les sommets.  Les côtes, les cols, les bosses et les monts.  Les seuils et les puys.  Et bien plus tard, les faux cols et les collets montés.  Maintenant que le poids des années s’est mis à jouer les rabat-joie, ma plume a recours à des formules imagées, colles-en-bourre et jeux de mots tels les cols-à-taire par exemple pour décrire le coup de cul d’une banale taupinière

Mon premier soin a été de m’immerger dans le monde fédéré du vélo. La Fédération belge du Cyclotourisme (FBc) répondait  le mieux à mes attentes pour rouler sur les brisées du copain de l’école devenu entretemps le "Cannibale".  En allure libre, sans capitaine de route !  Le BAR (le pendant du BRA français), qui s’élançait de Verviers, fut l’un de mes premiers brevets fédéraux.  Il développait une distance de 212 km pour une dénivellation supérieure à 3000 m comprenant les côtes du Stockeu, la Redoute, le Rosier et le Signal de Botrange comme principales difficultés.  Toutefois, les monuments tels Liège-Bastogne-Liège (T-B-T), le mur de Grammont et autre Mont Ventoux faisaient déjà office de vieilles connaissances.

Chassant trente-six lièvres à la fois, je me suis retrouvé très vite inscrit à l’Ordre des Cols Durs, au Club des Cent Cols, aux Monts de France, au challenge du BCCB (Brevet cyclo-côteur belge), au BIEG (l’ancêtre de l’Eurocycling), au Cotacol et j’en passe des farces et des attrapes !

 


                                                                                                                     

Revenons au début des années quatre-vingt.  J’ai envie de casser la baraque comme Eddy !  À ma façon !  À mon allure !  Réussir un truc qui marquera d’une pierre blanche mes annales cyclosportives.  Pour mener cette toquade à bon terme, cap sur la Savoie ! Une année plus tôt, j’avais épinglé la plupart des grands cols des Alpes de Haute-Provence.  Le séjour d’une semaine en étoile m’avait fait découvrir 26 cols dont la Cayolle, Allos, Vars,  Noyer, Mont Colombis et Pontis pour ne citer que les plus pentus. Pour ce premier séjour prolongé en haute montagne, mon mécanicien-vélociste m’avait conseillé une gamme de développements adaptés pour grimper aux arbres, compte tenu d’un pédalier qui n’était pas conçu pour recevoir un triple plateau.  Voilà le pourquoi d’un double pédalier (48/34 dents) servi d’une roue libre allant de 14 à 28 dents.  Cet ensemble correspond à un développement de 7.32 m  maximum et 2.29 m minimum.  Nonobstant cette combinaison peu orthodoxe, la consigne "voir petit" tenait la route.  Aucune mise à pied forcée n’eut lieu !   Aucun souci !  Dès lors pourquoi ne pas reconduire la formule  en Savoie ?


         

Mon premier soin fut de glaner une masse d’informations concernant le challenge que je me proposais d’effectuer !  Pour ce faire, consultation auprès de Gérard Valla, un chroniqueur du "Cycle" bien informé et responsable de la rubrique des "Cols Durs".  De sa réponse, je retiens surtout la mise en garde : "Ne pas avoir les yeux plus grands que le ventre".  Pour mémoire cependant, il m’avait concocté un menu décliné en 4 étapes d’une moyenne journalière de 156 km et 3362 m de dénivellation.  Sans commentaires !  Une analyse remixée de mes notes me fit craindre que le cocktail (ou le coq tel sur un tas de fumier) soit quelque peu explosif.  Aussi, mes prétentions sont-elles revues à la baisse ! Un an après mon expédition, la parution de l’ouvrage des " 100 plus belles randonnées du cyclotourisme", une savante compilation commentée par Jean Durry et Jacques Seray, me renseigna que le périple ressemblait bigrement à un mix futé du BRA et de la Randonnée alpine de Georges Rossini.

À propos d’équipement !

Je suis à la lettre le  conseil de mon mécano et j’écarte deux éventuels trouble-fête.  Exit le sac à dos pour des raisons d’inconfort (poids et transpiration).  Exit le porte-bagages arrière au profit du tout-à-l’avant afin d’assurer le confort du pilotage.  Cette option soulage également la roue arrière qui supporte les 2/3 du poids du cycliste et diminue les risques de bris de roue.  Le spécialiste me recommanda vivement l’utilisation du porte-bagages surbaissé en alu qui apporte un équilibre comparable à celui du balancier du funambule.  En plus, il diminue l’amplitude des oscillations et annule l’instabilité créée par le sac de guidon.  Et encore, la formule permet au cyclo de se mettre en danseuse puisqu’en déportant son corps vers l’avant, le centre de gravité reste +/- identique.  Tout le monde sait qu’il est préférable de pousser une charge plutôt que de la tirer.  Bref !  La formule a toujours la cote à l’heure actuelle. (Hélas, la bourse a fortement chuté ces dernières années !)

Quant à rédiger l’inventaire des sacoches : jamais de la vie.  Les besoins des uns diffèrent trop de ceux des autres.  Tout est relatif.  En général, le randonneur a toujours tendance de s’encombrer de frusques inutiles alors qu’un peu de poudre à lessiver fait souvent l’affaire.  J’ai connu un randonneur qui pesait absolument tout, au gramme près, même les mouchoirs en papier, mais qui se passait de garde-boues au profit de sacs en plastique en guise, en guise  (Hé non ! No parasol du Mexicain !) de couvre-chaussures !!  L’ersatz est à déconseiller.  T’es sceptique, qu’à cela ne tienne !  Creuse une fosse et tu seras vite mis au parfum !  Pour ma part, au vu des conditions précaires entourant le défi, j’avais décidé de faire confiance à un pro  ce qui m’évitait de casser des noix sous mon petit nuage belge.  Quarante ans plus tard, étant donné que la technologie du vélo m’est restée un casse-tête chinois, j’en suis toujours au stade primaire !


                                                                                   

Fiche technique

27 cols, 3 côtes

Km total : 682      Dénivellation totale : 16350 m

6  étapes :

1. Les Grandes Espérances !                                Lun. 04.07.1983              Les Gets – Flumet

2. Roule ou Crève !                                              Mar. 05.07.1983              Flumet – Val d’Isère

3. Alléluia, un bon pour l’enfer !                         Mer. 06.07.1983              Val d’Isère – Les Verneys

4. Ça ne s’invente pas !                                        Jeu. 07.07.1983              Les Verneys – St Jean de M.

5. Pleure pas Madeleine, j’arrive !                      Ven. 08.07.1983               St Jean de M. – Serraval

6. Remouille-moi la compresse !                          Sam. 09.07.1983               Serraval – Les Gets

Moyenne journalière : 114 km  -  2730 m dénivellation positive  (Savoie & Haute-Savoie)  - Au total +/- 60 heures de selle  soit une moyenne de 10 heures par jour de route.


                                                                                                                 

Cinq  tuyaux  en  or !

Le cycliste doit faire corps avec son vélo.  Il doit se sentir assis, en permanence, dans un fauteuil ! - Prévoyez un tant soit peu l’extrême et planifiez un plan B en cas de pépin.  - Équipez le vélo d’un développement propre à grimper aux arbres ! -  Scellez la petite visserie à l’aide d’une goutte  de laque (empêche et retarde la déglingue de la quincaillerie). -  Ayez en réserve quelques colsons et un empiècement de carcasse de pneu usé (colmatage d’une petite déchirure de pneu).
NB: Que les initiés me pardonnent d'énoncer les évidences archi-connues.

 

Exemples : mes préparatifs spécifiques pour "la Randocol alpestre".

Belgique : participation à quelques brevets musclés comme la Randonnée des Ardennes Françaises qui développait 243 km pour 4.227 m de dénivellation (cf. illustrations).

France : une semaine de mise en train  dans le Chablais comprenant de multiples ascensions de 1re catégorie et le Brevet montagnard de Taninges.

Quid le vélo électrique ?

Mon commentaire sera aussi bref que catégorique.  Le VAE va à l’encontre de l’éthique du sport. Pour peu que le cycliste surveille la charge de la batterie, il est assuré d’arriver au but sans  jamais y laisser un poumon ! 

En un mot comme en cent,

ne faites pas le parallèle entre une petite reine et un vélo déguisé en mobylette.  Autant comparer  une Citroën  2CV  à  une  Ferrari 812   Superfast !


                                                                                                                     

1. Les Grandes Espérances  (Lundi  04.07.1983)

Itinéraire : Les Gets – Flumet via Thorens-Glières et le GR 96

Départ 7H am  – arrivée 18H pm

Distance : 126 km

Dénivelé positif : 2818 m - Dénivelé négatif : 3129 m

Cols : La Savolière (1416 m) - La Ramaz (1557 m) – Les Evires (810 m) - Les Fleuries (902 m) - Le Collet (1390 m) - Les Glières (1440 m) - Les Aravis (1498 m)

Misère, cher Omer ! Lustucru qu’avant le premier coup de pédale, je fusse contraint de te renvoyer derechef au dernier paragraphe de la préface.  Souviens-toi !  J’y faisais part de mon obscurantisme concernant la théorie aristotélicienne sur les lois de la dynamique. (Commentaire supprimé en dernière minute !  Trop alambiqué !)  Baste !  Aussi, comme je ne tiens pas à pisser dans le violon, il ne reste plus qu’à me joindre à la famille qui installe ses quartiers d’été aux Gets.  Très précisément à l’orée des pistes du Col des Gets (1172 m), appelé également col des Juifs.  (Shalom aleichem !  I like h’m Slalom !)

  

Un vaste premier étage d’un chalet, accessible par une volée d’escaliers, a été investi pour l'occasion.  Fin prêt depuis la veille, j’attends avec impatience le chant du coq pour m’éclipser sur la pointe des pieds.  Quant au vélo remisé sur le balcon, il n’y a plus qu’à le descendre via l’escadrin.

Lendemain matin, première heure. Bon prince, mon beau-père me donne un coup de main pour déposer mon destrier au rez-de-chaussée.  Posant un pied sur la première marche de l’escalier, il manque de se casser la pipe, jure comme un grenadier et s’exclame :

"C’est pas vrai !  Dis donc, où comptes-tu aller ainsi ?  T’es marteau ou quoi ?  Ton bahut pèse au moins une tonne !  Vouloir monter toujours plus haut,  à quoi ça rime puisqu’on finit toujours par des cendres, comme disait l’autre !"  Mézigue, malin comme un singe, coltinant l’arrière du vélo libre de tout paquetage, m’empresse de lui préciser que porter un poids n’est en rien comparable à une traction de même charge.  Je lui fais grâce de la théorie  aristotélicienne sur la dynamique dont j’ignore le CQFD. (Ce qu’il faut délirer)

Les premières pédalées sont les plus agréables du circuit !  Et pour cause !  La route plonge tout de go dans la vallée de Taninges et perd 200 m d’altitude sur près de 5 km.  Au pont des Gets (967 m), je quitte la Route des Grandes Alpes pour celle du Fry qui s’échappe à droite.  Forza Belga !

La route s’envole littéralement sur les pentes de la Savolière, dépasse les 10%, voire égale les 14%.  Le sommet du col est atteint après 4 derniers kilomètres extrêmement ardus.  Ensuite, la pente se fait plus douce à hauteur de la Station de Praz de Lys (1500 m).  Il reste moins de 3 bornes à 4% pour rejoindre le col de la Ramaz.  Je ne reconnais pas les lieux.  Or, 4 jours plus tôt, lors du Brevet montagnard de Taninges, j’avais eu l’occasion de prendre mes marques.  Dans le sens inverse, il est vrai !  Cette constatation confirme que l’œil droit n’a pas la même vision que le gauche.  Vous ne me croyez pas ?  Tant pis !  Je m’en tamponne le coquillard. Peu après le sommet, je suis gratifié d’un magnifique panorama sur la Chaîne du Mont Blanc.  Un bon endroit pour récupérer !  Longue descente pour rejoindre la vallée du Giffre.  "La Randocol alpestre"  étant exclusivement montagnarde, je m’abstiendrai d’analyser au peigne fin toutes les ascensions. Un truc à retenir, c’est l’accumulation des dénivelés qui durcit l’étape. 

De la traversée de la vallée du Giffre, il ne me reste quasi aucun souvenir excepté un ciel chargé qui finit par se déchirer.  En abrégé, ça donne : « Grisaille ! Circulation !  Crevaison !   À l’horizon, un mirage !   Nenni, c’est bel et bien un orage ! »  Bref !  La tasse est amère, le calvaire se tasse.  Cependant, mon souci reste entier puisque "si le début juillet est pluvieux, le restant du mois sera douteux".  Me v’là averti ! 

Thorens-Glières (666 m), cité des maquisards.  Je suis à mi-chemin de l’étape !  Encore 2 massifs montagneux à franchir : le plateau des Glières et le massif des Aravis.  Le plus dur reste à faire.  Pour commencer 2 cols pour accéder au plateau des Glières qui est une véritable forteresse naturelle.  Dénivelé 800 m, 13.5 km de grimpette (pente moyenne 5.8%).  Le col du Collet, situé à la sortie du bois, marque l’entrée de la combe d’alpage des Glières.  Ensuite, le col des Glières n’est plus qu’une formalité.  Le panorama de l’alpage se réduit à une ou deux granges éparses.  Le site, qui fut le théâtre de la première bataille des maquisards en 1944, avait été inauguré en 1973 par André Malraux à l’occasion de l’implantation du monument national à la Résistance de la Seconde Guerre mondiale.  Septante-cinq ans plus tard, Emmanuel Macron accompagné de Nicolas Sarkozy remettront le couvert en commémorant l’anniversaire des combats.  Je suppose que le paysage a subi pas mal de changement depuis mon passage.  Surtout depuis que le Tour de France a adoubé le col et a classé le versant Nord-Est parmi les cols " hors catégorie".

Retour au 4 juillet, jour de la St Florent où tous les enfants ont une pensée pour leur maman.  Le bitume disparaît et j’entame la descente par un chemin semi-muletier défoncé.  Ma séance de roue libre est bien vite stoppée par la rencontre inattendue d’une équipe de géomètres qui arpentent le maquis.  Courte halte et échange de commentaires concernant les instruments de topographie Wild.  Même au bout du monde, je trouve le temps de baratiner les clients.  Aventurier oui,  mais scout toujours prêt, aussi !  Après ça, ne me dites pas que les vaches ne sont pas bien gardées !

Le temps se couvre, je ne m’attarde pas.  Je savais que les longues descentes n’étaient pas de tout repos.  Par contre, j’ignorais qu’au mois de juillet, on pouvait avoir les mains paralysées de froid (les doigts gourds) handicapant jusqu’à l’utilisation des manettes de frein.

C’est au pied du col (740 m) que le ruisseau de l’Essert conflue avec le torrent du Borne.  Nous sommes au cœur du massif des Aravis.  À proximité d’Entremont, une violente averse me contraint à chercher refuge sous l’appentis d’une scierie.  Le contretemps est mis à profit pour changer un boyau en partie déjanté par la caillasse. La pluie redouble d’intensité, les grumes dégagent une odeur de plus en plus forte dont je me goinfre littéralement, tout en me penchant une dernière fois sur l’itinéraire. 

Saint-Jean-de-Sixt (956 m) n’est pas très loin et le col des Aravis, quoique jouissant d’une sacrée réputation, devrait se franchir sur des coussins d’air.  Pour autant que les profils consultés s'avèrent exacts !

Haut lieu du sport cycliste, c’est un col facile qui se monte en souplesse avec pour distraction des clochers à bulbes qui surprennent par leur architecture et d’imposantes fermes où se fabriquent le reblochon.  Quant au point de vue sur le Mont Blanc, bernique !  L’horizon est bouché comme une bouche d’égout constipée !

Toutes voiles dehors (celles de mon poncho), je file à tout berzingue sur le Val d’Arly via les gorges de l’Arondine.  Sous une pluie battante !  L’ancienne cité fortifiée de Flumet (910 m) se dissimule sous une épaisse nappe de brouillasse.  Je me précipite à l’Hôtel des Cèdres où je suis attendu et, sans tarder, je fais le point de la journée.  Petit aparté ! Je reconnais humblement que cette première étape n’a rien de palpitant.  Ne perdez pas espoir, la seconde étape réserve l'amorce d'une surprise.

Flumet (854 m).

Mon stock de boyaux de rechange s’étant réduit à une peau de chagrin, le réapprovisionnement est obligatoire sous peine de me voir parqué dans la pampa.  La bombe anti crevaison ou " le latex liquide bouche le trou et tu repars" n’existait pas à l’époque.  Après consultation auprès du peuple, un saut s’impose à Albertville ou Megève pour faire le plein de boudins.  Une amusette pour un cycliste comme vous, ouïs-je persifler du fond du bar.  Je fais la sourde oreille et je remets le détour au lendemain à la première heure.  Ingrat, je ne tends pas l’oreille à la cloche de l’église bénie de Saint-Théodule qui me promet d’écarter tout risque d’orage.  Tu parles, Charles !  Je suis imperméable à ce genre de bobard et préfère aller méditer en chambre.


                                                                                                                            " Heureux soient les fêlés, car ils laissent passer la lumière."

Michel Audiard

2. Roule ou Crève !  (Mardi  05/07/1983)

Itinéraire : Flumet - Megève  - Beaufort sur Doron – Val d’Isère

Départ : 6H30 am – arrivée 19H30 pm

Distance : 125 km

Dénivelé positif : 3623 m -Dénivelé négatif : 2694 m

Cols  :

Megève (1130 m) - Les Saisies (1633 m) - Le Méraillet (1605 m) - Le Cormet de Roselend (1968 m) - Montée de Val d’Isère (1840 m)

J’ouvre un volet.  Bingo !  La montagne accouche d’une orange sanguine dans les douleurs de l’aube. (rudement bien torché, n'est-ce pas !))  L’heureux présage m’incite à mettre le cap sur Megève.  De plus,  ayant acquis un bon coup de pédale au cours des semaines précédentes, je ne ressens aucune fatigue du jour précédent.  L’hôtel est désert.  La douloureuse étant réglée la veille, je fausse compagnie dès la première heure sans attendre le petit déjeuner.  Une initiative à bannir de son planning car les pâtes de fruit et les capsules de sodium ne compensent guère un p’tit dej’ copieux.

Meu-gève ou "La Petite Suisse des Alpes" sort à peine de sa léthargie quand je me pointe devant le magasin de cycles.    Le rideau métallique est baissé, aucune loupiote allumée.  N’y a plus qu’à faire le pied de grue devant la boutique.  Tout vient à point à qui sait attendre, n’est-ce pas Clément !  Et d’être content sans vouloir davantage, c’est un trésor qu’on ne peut estimer !  Es-tu sûr de ton aphorisme, Clément ?  Oui !  Miel !  C’est à mon détriment !  C’est moi le maraud, alors !  Le vélociste avait fini par se manifester et me fourguer des boyaux increvables.  Bonne poire, je pris sa parole pour de l’argent comptant !  Deux jours plus tard, j’étais fixé sur l’increvabilité du Tubeless.  Crevaison garantie, tu blesses, oh yes !                                                    

Pour l’heure, fouette cocher !  La route est longue ce mardi. Le Val d’Arly est dévalé plein tube jusqu’au pont qui enjambe l’Arly en direction  du col des Saisies.  Comme le détour par Megève s’est avéré plus long que prévu, interdit de rêvasser.

C’est au pas de charge que le col est franchi.  Il faut savoir que les cols grimpés à la fraîche sont nettement plus accessibles qu’en fin d’après-midi.  Bref moment de recueil devant la stèle érigée en souvenir du parachutage d’armes aux résistants et, à l’horizon derrière le monument, le Signal de Bisanne me fait de l’œil.  Une invite ?  En vain ?  Non ! Si ! Ce n’est que partie remise.  Près de trois décennies s’écouleront avant la chute du mur de Bisanne, une des  ascensions les plus épiques qu’il me sera donné de réaliser au départ d’Ugine.  Me v’là au cœur du Beaufortain.  Un paysage accueillant caractérisé par des herbages sans fin.   Le moral est revenu !  Seul bémol, un genou capricieux me rappelle les frasques de ma jeunesse.  Une déroute se profilerait-elle  à l’horizon ?  Je refuse de l’envisager !    

Comme le plat de résistance doit encore venir, je me rabats à c’t’heure sur le casse-croûte.  Une lacune dans mon journal : je n’ai pas notifié si j’ai fait honneur à la spécialité du coin c’est-à-dire au "Beaufort", surnommé le "Prince des gruyères" par Brillat-Savarin himself ! Or, comme le fromage est un des seuls aliments qui flatte mes papilles, je ne suis pas prêt d’oublier ce brillant personnage qui, par ailleurs, nous a légué un tas de réflexions dont « un dessert sans fromage, est une belle à qui il manque un œil ».

Sur ce bon mot, je fais le point.  Il reste tout juste 68 km à parcourir et franchir un dénivelé de 2450 m soit 6 heures de route au minimum.  Le côté positif, c’est qu’une réservation me garantit un toit pour la nuit à Val d’Isère.  C’est déjà ça !  Cependant, mon souci n’est qu’à moitié résolu car si je me mets à relater les péripéties des deux super ascensions que sont le Cormet de Roselend et la montée à Val d’Isère, vous allez m’envoyer sur les roses avant que je sois parvenu au sommet du col de Méraillet.  Par conséquent, je cède la parole au chroniqueur de Grandfondo France pour vous instruire sur l’une des plus belles ascensions du périple.  Le reportage vaut le détour. (Si vous n'êtes pas pressé !)

https://granfondofrance.com/blog/decouvertes/le-cormet-de-roselend-en-attendant-l-etape-du-tour

Par contre, si vous n’êtes pas trop branché sur le Tour de France, switchez sans crainte sur le blog suivant dont la description du col s’arrête hélas au lac de Roselend :

https://clementchabert.fr/cyclisme-le-discret-mais-tres-frequente-col-de-meraillet-beaufortain/

Grâce aux deux reportages, un pas de géant est fait dans l’écriture.  Cette initiative vient à point nommé car dès le défilé d’Entreroches à la sortie de Beaufort (765 m), les ennuis se mettent à se multiplier et m’auraient donné l’occasion de relater les douleurs  d’un atroce chemin de croix.  Je payais cash le survoltage de la matinée. Le genou droit se vengeait en me faisant souffrir le martyre pire que le calvaire d'El Toro sous les banderilles du matador. 

Bourg Saint-Maurice (820 m).  Des tracasseries d’un autre genre surgissent et empoisonnent mon existence.  Figure-vous que les vibrations ont déglingué la tringlerie  et ont semé vis et écrous à tous vents dans les lacets et les longs bouts droits de la descente du Cormet.  Et alors Zorro !  N’y a plus de Zorro à c’t’heure, mais  la recherche laborieuse d’une quincaillerie.  Pas évident de trouver un bric-à-brac en montagne.  À l’aise, Blaise !  Le soleil chauffe (Marcel) et fait oublier les pétarades qui abasourdissent la nationale.

Séez (900m).  Carrefour de deux cols majeurs à savoir le Petit Saint Bernard et l’Iseran.  Un vent debout remplit mes yeux de larmes, ne parvient pas à me désarçonner mais installe le doute quant à ma "Joyeuse Entrée" dans Val d’Isère.

Saloperie de vent contraire, voilà une nouvelle donnée  qui s’ajoute à mes soucis.  Or, le droit à l’erreur est interdit dans ce genre de folle chevauchée.  Il reste 29 km à mouliner jusqu’au gîte.  Je fais le vide dans ma tête et applique ma sempiternelle devise : "Hâte-toi lentement". . Facile à dire  quand une rotule t’envoie chez Plumeau !

Que retenir de cette ascension ?  Un conseil ! "Rester humble et l’obstacle sera franchi en deux coups de cuillère à pot !"  Autrement dit, tempère  tes ardeurs, pépère et tu rentres gagnant !  Maintenant si le pot est un chaudron,  gaffe-toi c’est pas coton de requinquer quelqu’un qui est à ramasser à la petite cuillère !

La montée débute vraiment juste avant Sainte-Foy de Tarentaise.  Malgré les rampes à la sortie du village, j’ai carrément refusé de rendre les honneurs du pied à ce raidard.  Bis repetita dans l’entité de La Thuile.

Jusqu’au barrage de Tignes, rien d’exaltant à signaler.  Je me suis hâté lentement sur une route en réfection.  La DDE colmatait les trous du tarmac avec du bitume qui au fur et à mesure se coinçait dans les sculptures des boyaux.  Or, l’espace réduit entre boyaux et garde-boues provoqua aussitôt un frottement désagréable qui me contraignit à un débitumage continu de la gomme des boudins et ce, tout en roulant, of course !  Encore une emmerde dont je me serais bien passé.  Moralité ! Vélo de course et randonneuse sont deux engins à utiliser à des fins différentes.  Pour autant que la faim de vélo soit présente au préalable.

 

En résumé, retenez que les pentes les plus raides se dressent avant le barrage du Chevril.  Notez aussi dans vos tablettes que cette première partie de col n’a rien d’euphorique ! 

Lors de mon passage, la plupart des tunnels entre Tignes et Val d’Isère étaient super mal éclairés.  Dans une des dernières galeries, j’ai été forcé de m’arrêter devant " le schwartz" total qui se perdait dans le néant.  Le trou noir !  Une énigme résolue sur-le-champ par le conducteur d’une Peugeot 404 qui s’est proposé de m’ouvrir la route des Enfers.  Fin de mouscaille !  Décompression sur les 6 derniers kilomètres de faux plat.

Le jour s’éternise, malgré un soleil qui se traîne derrière les sommets du Grand Paradis.  Ouf !  J’entre dans Val d’Isère sur une rotule vaillante et une autre en compote.  Repérage  sans problème de " l’Avancher" où bibi l'éclopé dispose aussitôt de sa chambre.  Jaune comme un coing, je commence par remettre mes tripes ; ensuite le repas du soir est avalé comme un vampire en manque d’hémoglobine.  Ma chance, c’est que je croûte pour survivre ! Soirée scandée sur la Marche funèbre de Chopin : « Il est crevé, Plus moyen de l’réparer… »  Patience, très cher, il va y avoir du neuf  sous peu!

Nuit nerveuse, agitée mais …je ne finis pas au tapis comme dans le Jura !

"Le temps passe, mais les souvenirs restent même après de longues années, grâce … à mes petits papiers.

Mr. Blanc de Blanc

3. Alléluia, un bon pour l’enfer !  (Mercredi  08/07/1983)

Itinéraire : Val d’Isère – Lanslebourg – Saint Michel de Maurienne – Valloire – Les Verneys.

 Départ 8H15 am  -  arrivée 17h30 pm

Distance : 108 km

Dénivelé positif : 2096 m - Dénivelé négatif : 2376 m

Cols :

L’Iseran (2770 m) - Le Télégraphe (1570 m) – Le coup de cul des Verneys  (1557 m)

Dès le lever du jour, j’appréhende le spectre de Sisyphe !  Comme à l’époque, j’étais encore un bleu, la troisième étape risquait d’être un cap délicat à négocier.  Dès lors, pondération et prudence devenaient les mamelles du cyclo !

Le profil de l'étape, je le connais par cœur. Ça commence par une mise en route tranquille prolongée par une fin de col un peu plus exigeante. Ensuite une très longue descente agrémentée de faux plats et l’ascension du col du Télégraphe comme finale.  En somme, rien de plus banal !  De fait !  La distance et le dénivelé sont modérés par rapport aux autres étapes.

Par conséquent, je saute du lit avec du pep à revendre !  Le soleil me fait la fête, le genou se fait oublier.  Du calvaire de la veille, je ne ressens qu’une vague démangeaison au niveau des ligaments. 

En selle pour 16 bornes de grimpette !  Si le paysage n’avait rien de convaincant dans la première partie du col, dès la sortie de Val d’Isère, ça change de répertoire. La végétation se fait rare et les névés apparaissent.  La pente oscille entre 4% et 7% sans le moindre mur.  Les 2 derniers km sont les plus pentus 8.5% et 7%.  Bingo !  Un des plus hauts cols d’Europe est passé comme une lettre à la poste.  Un détail me chagrine.  J’ai beau me presser le citron, battre le rappel de ma mémoire, il n’en sort pas une goutte de souvenance concernant Le Signal (2310 m), terminal du téléphérique, situé à 7 km du sommet.  Or, à cette époque, le téléphérique du Fornet existait depuis 10 ans.

Col de l’Iseran.  Photo d’un homme satisfait qui, par prévoyance avait acheté une carte vue anticipant le coup de guillotine du sujet par un photographe de fortune !   Pour rappel !  En ce temps-là, il fallait encore attendre le développement pour visionner le cliché.  Le clou du sommet ?  En lieu et place d’un cairn (=un tas de pierre servant de repère) pour matérialiser le sommet, les autochtones ont érigé la chapelle de  Notre-Dame-de-Toute-Prudence afin de mettre le haut lieu  sous la protection divine.  Je snobe ni plus ni  moins cette anecdote locale.  Quant au clou (de tapissier), je le dépose aux pieds de Gino Bartali dit le Pieux qui franchit pile-poil 45 ans plus tôt l’Iseran en tête (sans crever !) qui était, en ce temps-là, la route carrossable la plus haute d’Europe.  La sensation de dominer la vallée prend le pas sur le mystique.

Fidèle à ma devise, je m’apprête à débouler  la Haute Maurienne en trombe.  Et tu sais quoi ?  Je suis scotché au bitume !  Au lieu de descendre à fond la caisse, le vent de face me contraint à écraser les pédales.  Pour des prunes !  Je fais tout simplement du sur place, mon rythme cardiaque s’affole !  Alors que la route pique du nez !  Purée !   Si cette plaisanterie perdure sur 73 km, il est préférable de rebrousser chemin. Dingue de cuver une idée pareille, je vous l’accorde, mais quand le cambouis colle aux méninges, tout est possible ! Je me sens en état second  !  Bref !  C’est debout sur les pédales que je dévale à l’allure d’un  crabe (à reculons !)  la chiée de lacets et de faux plats descendants du Parc de la Vanoise.  En l’eau qui rance, des trompe-l’œil épuisants !  Et encore, si ce n’était que ça ! 

Bonneval-sur-Arc (1835 m), village perché de la Maurienne.  La localité, qui deviendra un jour un des plus beaux villages de France, me laisse indifférent pour l’heure et je passe outre  sans jeter un coup d’œil aux maisons de pierre aux toits bleutés.

Lanslebourg (1399  m) : déjeuner : je picore tout en me hâtant lentement !

Je ne m’étendrai pas sur la Maurienne qui est une terre de patrimoine.  Mes priorités, je l’ai déjà annoncé, sont un défi qui se décline en trois phases : le temps, la  distance et le dénivelé.  De toute manière, le contact avec la Haute Maurienne dans la descente de l’Iseran ne m’a pas fasciné.  Alors, pas du tout.  Cette immense vallée des Alpes est carrément à proscrire d’un circuit cyclo.  À croire que toutes les industries chimiques et métallurgiques de la Savoie se sont donné le mot pour envahir la vallée.  Une préfiguration de l’enfer ! Comme je me faufile dans les rues de St Michel de Maurienne (712 m), je sens  mon genou fait de la résistance !  Les larmes montent aux yeux !  Voilà une nouvelle cata à gérer !

L’odyssée va-t-elle capoter ?  Ça sent le roussi !

Facile d’accès, la route du col du Télégraphe se redresse dès que la rivière de l’Arc est franchie.  D’emblée, la mesure est donnée.  Ce sera une moyenne de 7% de dénivelé sur les 12 km que compte l’ascension.  Au bout du 3me ou 4me lacet, qui se love dans la forêt, la douleur atteint un paroxysme et me fait souffrir comme un damné.  Un supplice qui ne m’est pas inconnu pour en avoir fait les frais 3 ans plus tôt dans le Tour du Hainaut qui développait 230 km. L’origine de la douleur est un déchirement des ligaments causé par un développement démesuré ou à un poids excessif à tirer. Dans le cas présent, c’est le poids qui m’assassine.

Pour m’occuper les méninges, je me mets à décliner le Télégraphe en 12 coups, un par kilomètre ! Coup d’envoi (km 0) : le cœur n’y est plus ! Quant au coup de jarret (km 1), j’oublie cette utopie puisque le coup de théâtre (km2) a démoli mes espoirs d’y briller un jour !  Ce coup dur  (km3) ressemble bigrement à un coup fourré (km 4) échafaudé par le Bon Dieu des Cyclos qui veut rabaisser mon caquet. Par conséquent, pas question de donner le coup de collier (km5) qui risquerait de se transformer en un coup de grâce (km 6).  Et encore ! J’accepte ce coup de pied au derche (km 7) à contrecœur car Frédéric Dard soutient qu’un coup de latte  (km8) à cet endroit fait plus mal qu’un coup à l’amour propre (km9). Quoi qu’il en soit, j’espère que ce coup d’essai (km 10) ne finira pas en coup de Trafalgar (km11).  Aussi, pour mettre toutes les chances de mon côté,  dès le sommet, je m’empresse de donner un coup de télégraphe (km 12) à mon cicérone,  qui anticipant mon futur coup de gueule (le treizième de la douzaine !) sur les hauts de la Colombière, me fustige en soulignant qu’il est honteux de faire son propre éloge. Ensuite, comme Hercule, je descends aux Enfers pour mettre fin à ces Travaux Inutiles, ce qui me vaut la punition de Sisyphe. Notez que je vous évite le coup de sang car des coups, au plus j’en sors, au plus il en vient ! Quant au proverbe allemand qui assure que les coups rendent sage, permettez-moi d’en douter !

Deux ans plus tard, lors de la Marmotte 85, le pénible souvenir me plomba les guibolles jusqu’à Valloire.  Je sucre encore et toujours, rien que d’y penser !   Quelle affaire!

En attendant, je galère comme un forçat jusqu’au seuil du chalet des Verneys.  Quant à mes impressions sur ce juge de paix, je suis infichu d’en relater le moindre mot.  Mon genou en compote avait été mon seul souci.   Comment suis-je parvenu au sommet du Télégraphe ?  Mystère et boule de gomme !

Le col franchit, je mets la bielle au repos complet jusqu’à Valloire (1430 m) où la route remonte le cours de la Valloirette.  Un torrent qui sera le témoin muet d’un fait divers hallucinant. 

Les Verneys, le village-étape, s’offre enfin à ma vue.  Exit le naufrage !

Un bain tonique et un plantureux souper me remontent le moral bien au-dessus des sourcils.  Ça ne suffit pas !  Il est essentiel de mettre  le plan B sur orbite sinon je serai cuit pour crier misère dès les premiers coups de pédales.

Voici ce que je mets au menu du jour suivant : blackbouler le parcours original articulé autour du Galibier et du col de la Croix de Fer, le remplacer par une variante accessible tout en gardant le même point de chute.  Mettant tous mes soucis à plat, je décide d’épingler le Galibier sans les sacoches, rebrousser chemin au sommet, récupérer les bagages et filer sur St Jean de Maurienne via la vallée infernale.  L’hôtel de St Jean est une place incontournable.  C’est là où la famille doit me toucher.  Il est bon de rappeler à la belle jeunesse qu’au début des années quatre-vingt, l’usage de la téléphonie mobile en était à ses balbutiements.  Nous vivions à l’ère du téléphone fixe. A l’époque, GSM et GPS appartenaient à l’univers de Flash Gordon et consorts !  L’absence de biniou dans l’appartement nécessita par conséquent la mise en place d’un timing très strict. C’est Nadia qui m’appellerait à l’hôtel.  Donc, un contact à ne pas louper pour tout l’or du monde ! Fixé justement au lendemain soir.

Je m’endors du sommeil du juste avec une foule d’images qui gravitent dans ma tête. Sur une ballade des Moody Blues qui me fait planer oh yé !  “Nights in White Satin, Never reaching the end, Letters I’ve written, Never meaning to send, … “  Biou.ti.foul,  isn’t it, my dear !

"Chroniquer, c’est se défoncer deux fois ; un brouillon avec les pinceaux, la mise au net à la plume !

"Mr. Blanc de Blanc

 

4. Ça ne s’invente pas ! (Jeudi  07.07.1983)

Itinéraire : Les Verneys – Plan Lachat- Les Verneys – St Jean de Maurienne via le col du Télégraphe

Départ 7H30 am  -  arrivée 12H pm à St Jean de Maurienne ( pm : ronde locale  =  St Jean de Maurienne – Gévoudaz – La Cochette – Col du Mollard – Pont de Belleville et retour via le même chemin. )

Distance : 98 km

Dénivelé positif : 2085 m - Dénivelé négatif : 3072 m

Cols :

Plan Lachat (1925 m) - Le Télégraphe (1570 m)  versant sud - Le Collet (1150 m) - Le Mollard (1638 m)  versant nord - Le Mollard 1638 m)  versant sud

Les Verneys.  Saut du lit.  L’air est saturé d’humidité.  Il a plu toute la nuit et le ciel nuageux ressemble à un drap blanc mal lavé.  Le genou défaillant me rappelle a l'ordre mais j'ai connu pire ! Il ne reste plus qu'a me rabattre sur le plan B !

En principe, la matinée devrait suffire amplement pour s’offrir un aller-retour au col du Galibier.  Un peu plus de 16km développant 1100 m de dénivelée positive n’est pas en mesure d’hypothéquer une journée vélo.  Même avec un genou au bord de la faillite !

La sortie du village me fait aussitôt entrer dans la zone des alpages.  Très vite, j’en suis à crapahuter sur une ligne droite qui monte en pente douce le long du torrent.  À hauteur du lieu-dit "La Rivine", la route enjambe le cours d’eau et continue sans décrire la moindre courbe.  Je perçois un infime chuintement métallique à l’arrière.  Un râle agonique à peine audible.  Un premier lacet se présente à l’entrée du hameau de Bonnenuit (les petits).  Il reste 4 km pour atteindre Plan-Lachat, qui marque la barrière symbolique des 2000 m d’altitude.  Un endroit stratégique !  C’est là que la route fait un demi-tour à 180°.

Un couinement accompagne maintenant chaque coup de pédale et se transforme progressivement en un bruit qui déchire le cœur.  Arrêt.  R.A.S.  Je me remets en selle.  Un lacet serré à droite me fait enjamber la Valloirette.  La route relève sèchement du col.  Me v’là  dans le vif du sujet, à Plan Lachat, un des virages les plus connus de France.  Traversée du torrent.  Il reste 8 km jusqu’au sommet et 640 m de  dénivelé à gravir.  Moins de 500 m plus loin, ma roue arrière se bloque brutalement kif, une horloge dont on ampute le pendule.

Et alors …

M… !  M… !  M … ! Aristote, en personne, aurait perdu les pédales devant cette satanée inconnue.  Deux ou trois rondelles de pignons se sont désolidarisées du corps de la roue libre, tournent dans le vide et cisaillent en douce le hauban inférieur à 2 cm de la patte du cadre.  Une mouscaille à en rester baba comme dirait mon ami Ali.

La question  à 100 sous :  pourquoi Aristote en serait-il resté baba ?

Tout simplement, parce que la roue libre se visse dans le sens des aiguilles d’une montre.  Or, comme le sens du pédalage est identique à celui du serrage d’une roue libre, le desserrage est théoriquement impossible . Bref, une telle tuile ça n’s’invente pas. 

Au moment où j’enlève la roue pour tendre la chaîne au clou ad hoc fixé à l’hauban supérieur, plusieurs pignons et billes de roulement dégringolent sur le tarmac et partent à dache sur la chaussée comme une armée en déroute.  La seule façon de sortir de ce mauvais pas, c’est de prendre l’initiative sans passer par les demi-mesures.  Je réfléchis à la vitesse de la lumière.  Je récupère tant bien que mal quelques pièces éparses, les emballe dans un kleenex, refixe la roue et demi-tour à droite direction Les Verneys.  La main gauche posée sur la cocotte de frein, la droite serrant toute la quincaillerie.  Game over ?  P’tèt ben qu’oui, p’tèt ben qu’non !  Bof! Je fonce comme une balle!   Et voilà que j’écope du super prix de consolation.  À plusieurs reprises, la déclivité de la pente est tellement faible que je suis obligé de pousser le vélo.    Et ce, dans le col le plus pentu du Tour de France !  Lustucru, de quoi décourager tous les avale-tout-cru !

Je fais fissa pour récupérer mes frusques aux Verneys et dévale en quatrième vitesse la rampe qui échoue à Valloire où j’espère débusquer un marchand de vélos.  Bernique !  Le biznis du VTT n’a toujours pas envahi l’Europe.

J’ai donc intérêt à me magner la rondelle si je tiens à pointer à St Michel de Maurienne avant les douze coups de midi et la sacro-sainte méridienne.

Le col du Télégraphe est négocié au pas de course, nonobstant les plaquettes de fixation fixées sous mes  cyclistes.  Le temps urge, une vraie purge !  No comment quant aux efforts requis pour maintenir la pression.  Qui dit stress, dit anti-blues (du businessman).  Tout à coup, un cycliste amateur, sorti du diable vauvert, arrive à ma hauteur, le nez plongé dans le guidon.  Je gesticule.  Il s’arrête !  Je lui expose la situation.  Il comprend !   Me regarde avec des yeux larmoyants d’un basset hound !  Et puis, soudain sous l’emprise d’un culot monstre, je le somme littéralement de pousser mon équipage jusqu’au sommet du col.  Il …

 

Incroyable mais vrai, le gars obtempère !  Figurez-vous qu’il s’est exécuté jusqu’à 500 m du sommet.  Quand il m’a largué, sa bobine ressemblait à une aubergine prête à éclater.  À la limite de l’apoplexie !  Moi aussi, j’étais rouge comme un coquelicot !  À la différence, ma pomme c’était de confusion !  Hélas, ce n’était pas le moment de s’égarer dans les conjectures.  Une demi-heure plus tard, je pousse le portail des Établissements Vuillard "Taxi-Cycles-Machines agricoles".

Saint-Michel de Maurienne. En réalité, les "Établissements" ressemblent davantage à un bazar bordélique qu’à un atelier de mécanique. Les outils sont éparpillés pêle-mêle sur les établis mélangés avec un tas de pièces hétéroclites. J’expose mon souci au maître de céans qui, sans piper mot, détache la roue, la fixe dans l’étau et charcute la roue libre, a grands coups de marteau tête ronde avec la fougue d'un équarisseur en pétard. Le mécano remplace aussi la chaîne puisque les pignons en titane vont à la poubelle.   Des sosies issus de l’âge du fer prennent la relève.

Comme il en termine avec mon vélo, un jeune Anglais se présente pour des raisons de braquet.  Lui aussi !  Je comprends aussitôt pourquoi le fils Vuillard a le tour de main pour ce genre d’intervention.  Sans demander mon reste, je m’empresse de rejoindre l’escale de St Jean de Maurienne.  Sous une pluie dantesque.  Avec une pèlerine voltigeuse qui m'en fait voir de toutes les couleurs.  À l’époque, comme l’autoroute de la Maurienne n’était pas encore construite, la nationale, voie incontournable, n’était pas un cadeau pour le cycliste. 

Saint Jean de Maurienne (546 m).  Une heure plus tard, je remplis ma fiche d’hôtel et vu que j’arrive mars en carême, je me tape la cloche (sans le bourdon) pour fêter le redressement d'un désastre évité de justesse.  Curieusement, pendant ce très long moment de tension, mon genou ne s’était pas  manifesté.  Du moins, je n’en ai aucune souvenance !  Ce qui revient à dire que je situe mal le moindre mal ?  Qu’est-ce qui est moindre ?   Qu’est-ce qui est pire ?  Qu’est-ce que le moindre pire ?  Faut-il en pleurer ou en rire ?  Beau sujet de dissertation ! 

Le mahomet cogne et chauffe désormais la Maurienne à bloc.  Tudieu, qu’est-ce qu’il tape dur quand il y met un peu de bonne volonté !  S’agit de glisser une feuille de chou sous la gapette si je tiens à garder la tête froide !  Un coup de soleil sur le citron serait dommage maintenant que le mental et la forme sont revenus.  Où vais-je faire la sieste ?   Comme mon objectif est de bouffer du col plus que de raison, je boycotte la position horizontale en chambre autant que la fraîcheur de la cathédrale et celle du palais épiscopal.   Je préfère digérer en extérieur et je repars comme en quarante à l’assaut des flancs du col du Mollard via la vallée de L’Arvan.  La pente est progressive, et comme mon vélo a retrouvé sa taille mannequin (sans bagages pour ceux qui viennent de me rejoindre à l’instant !), je fume la pipe ! Je me sens bien !  Très bien même !  Me voilà en route fier comme un bar-tabac !   Je remonte la route de "l’Opinel", bien avant qu’elle n’ait été portée sur les fonts baptismaux de la cathédrale Saint-Jean-Baptiste par O.T.

Dès le premier lacet, juste après le pont de Gévoudaz, se dresse l’ancienne usine de Joseph Opinel,  la bâtisse où il fabriqua les couteaux de 1901 à 1915.  Tous ces détails, je les ai glanés bien plus tard au moment de la rédaction du récit.  Tranquille comme Baptiste, c’est avec sérénité que j’entame la pente qui se raidit et se contorsionne sur 10 km pour accéder sur la Place Opinel d’Albieux-le-Vieux.    

Le col est la porte d’entrée du hameau du "Mollard", c’est-à-dire la partie haute du village d’Albiez-Montrond.  Magnifique point de vue sur les Aiguilles d’Arves.  Quant au petit lac sommital, je le loupe par précipitation et par méconnaissance.  Aucune importance, je suis ici pour boulotter du col et pas pour kodaker.  Au sommet, je bascule vers le Pont de Belleville, situé 6 km plus bas à 1227 m d’altitude.

Retour d’où je viens, ça m’évite toute surprise !  Elimination des autres accès pour St Jean de Maurienne.  Cette étape particulière finissait en apothéose et comme tout baigne, c’est la seule chose qui importe. Vélo et genou, mes deux soucis majeurs, se sont discrètement volatilisés dans la nature.  Le coup de fil avec Dulcinea s’est passé comme prévu.  Tout est OK !  Que demander de plus ?

Après la collation du soir, je ne m’attarde pas et m’empresse de rejoindre le royaume de l’étoile du Berger tout en ayant une pensée pour Marie-Madeleine, ma future conquête du lendemain matin.

"En 1565, le roi de France Charles IX ordonne que chaque maître coutelier appose un emblème sur ses fabrications pour en garantir l’origine et la qualité.  En 1909, respectant cette tradition, Joseph Opinel choisit pour emblème La Main Couronnée. La main bénissante est celle de Saint Jean-Baptiste figurant sur les armoiries de Saint Jean-de-Maurienne, la ville la plus proche d’Albieux-le-Vieux, berceau de la famille Opinel.  Joseph Opinel ajoute une couronne pour rappeler que la Savoie est un duché.  Depuis, toutes les lames des couteaux et outils Opinel sont poinçonnées de la Main Couronnée."

(source : https://www.club-50plus.fr/blogs/article/opinel-une-histoire-savoyarde-63974.html)

"Je n’oublie jamais de cuver mon encre !

Mr. Blanc de Blanc

 

5. Pleure pas Madeleine, j’arrive ! (Vendredi  08.07.1983)
 

Itinéraire : St Jean de Maurienne – Albertville (banlieue) – Serraval via les cols de la Madeleine et du Tamié.

Départ 8H am – arrivé en début pm à l’Hôtel « La Tournette »

Distance : 125 km

Dénivelé positif : 2896 m - Dénivelé négatif : 2350 m

cols :

La Madeleine (1995  m) - Le Tamié (907  m) - Les Essérieux (755  m) - L’Épine (947 m)

Lors de la mise au point de l’itinéraire, l’idée m’était venue un instant de gravir le col de la Madeleine via Montvernier et le col de Chaussy.  Le col, qui est considéré par les connaisseurs comme un des juges de paix les plus intransigeants des Alpes françaises, m’incite à faire profil bas.  Outre, l’appréciation des pros, le chemin au-delà du col de Chaussy étant hasardeux, la prudence me suggère de rester sagement dans les passages balisés.  Ainsi dit, ainsi fait !  L’ascension se fera de La Chambre (500m), le point de départ traditionnel.

 

Ciel d'azur, branle-bas le combat. Le tintouin rituel du petit matin m’invite à décamper au plus tôt et très vite je me retrouve sur la nationale qui mène au pied de l’épouvantail. Le versant que je me propose de gravir au départ de la nationale comporte 20 km de montée sèche et sans à-coups pour 1550 m de dénivelé ce qui correspond pour un cycliste moyen à un temps de parcours de l’ordre de deux heures d’effort à 10 km/h de moyenne.  Il est établi qu’un cycliste ordinaire s’élève en moyenne environ 800 m par heure.  Pour ce faire, il doit éventuellement utiliser des développements autour de 3 m.  Dans le cas de la Madeleine, l’adret développe une pente moyenne de près de 8% avec des tronçons à 10%. En  principe, en ce qui me concerne ça ne devrait pas poser de souci puisque le plus petit développement dont je dispose est de 2.55 m (38x28).  Par contre, il y a lieu de rester humble quand on chevauche une monture chargée comme un mulet et qu’un genou risque de rester en rade à tout moment !  Je me hâte très lentement.  Je dose mes efforts à l’aune du martyre.  Or, comme martyre c’est pourrir un peu, je temporise mon impétuosité qui est constamment sur le qui-vive.  D’autant plus qu’après la Madeleine, je ne suis pas au bout de mes peines.

Calmos, je monte en facteur !  Mon temps de parcours plafonnera à un peu moins de 3  heures.  Peut faire beaucoup mieux !  Surtout si je compare ce temps à celui de Virenque qui est de 56 minutes.  À une différence majeure près !  Richard cœur de lion tapait dans la boîte à bonbons alors que je me suis contenté d’eau claire.

Tout s’émousse avec l’âge !  Hé bé !  Je suis en mesure de confirmer la véracité de cet adage, preuve à l’appui.  Au moment où j’ai franchi le col de la Madeleine, son altitude sommitale égalait les 2000 m d’altitude (cf. photo).  L’année suivante, lors de mon adhésion au Club des Cent Cols, le col avait rétréci de 7 m.  À tout hasard, ne serait-ce pas le treizième travail d’Hercule qu’Homère nous aurait cachotté ? À moins que tu n’aies une meilleure réponse à proposer ?

Quoi qu’il en soit, le col consacré à Marie Madeleine me redonne confiance et la longue descente sur la vallée de l’Isère me fait échouer à Notre-Dame de Briançon (425 m).  En bordure de la rivière, le sort me gratifie d’un vent de face - (Quelle plaie !) - qui cette  fois n’aura aucune incidence sur l’horaire défini.  Ce coup-ci, le bon dieu des cyclos est avec moi malgré l’intensité de la circulation sur la nationale. Nonobstant une vitesse de croisière appuyée, je me fais rattraper par un cycliste déchaîné.  Brin de causette dans le vent !  Quelques mots déterminent mon éphémère  compagnon  à me donner un coup de pouce.  Le tempo demeure soutenu.  Il me pilote jusqu’à Frontenex (320 m) c’est-à-dire au pied du col du Tamié, la grimpette suivante.  Une amusette !  Exit le massif de la Vanoise, bonjour les Bauges, une montagne apprivoisée.  Un biotope  recherché par les bénédictins qui y installèrent leurs abbayes, monastères, prieurés.  En l’occurrence, l’abbaye de Notre-Dame du Tamié, située aux confins de la Savoie et la Haute-Savoie, qui produit du Reblochon.  Comme mes dispositions contemplatives se perdent au fur et à mesure que mes bielles retrouvent leur harmonie, je remets mon passage au collet du Tamié (958 m) et la visite de l’abbaye au jour où les poules auront des dents.  Vingt minutes plus tard, je traverse comme un bolide la large vallée de Faverges (472 m).

Une parenthèse.  Un regret.  Celui d’avoir loupé à deux reprises, à trente ans d’intervalle,  l’ascension du col de la Forclaz de Montmin.  Dixit les brochures touristiques, le col de la Forclaz, qui culmine à 1150 m, est l’un des plus beaux cols savoyards avec des points de vue incomparables sur le lac d’Annecy, les Bauges, la pointe Duingt, La Tournette (2351 m) et même le Jura. 

Afin de satisfaire votre curiosité, je vous renvoie aux commentaires de Joris Lesueur qui se découvrent sur son blog :  www.alpes4ever.com/

Trois kilomètres de répit entre Faverges et Saint Férréol pour remonter le murmure du filet d’eau de la Chaise.   La route, silencieuse à souhait, s’infiltre paisiblement dans un paysage champêtre, boisé et aéré.  Le temps d’accrocher le petit col des Essérieux, un col de 3me catégorie et je me retrouve dans le village de Serraval (760 m) où j’ai réservé une chambre à l’hôtel de la Tournette.  La roue tourne, le temps tourne.  Aujourd’hui, le relais s’est transformé en résidence privée "Les Ancolys" qui s’occupe de biens immobiliers.  Dommage pour les randonneurs, c’était un établissement impec et bien situé !

Quant à moi, je décide d’apothéoser la journée sur une note pastorale et je m’en vais musarder sur les pentes avenantes du col de l’Épine qui passe sous le Mont Charvin(2409 m).  Un petit bonus qui ponctue l’étape !  Promenade pédestre avant le repas du soir alors que Phébus se retire sur la pointe des pieds abandonnant des traînées de feu sur la cime de La Tournette.

Soirée cool !

"C’est dans l’effort que l’on trouve la satisfaction et non dans la réussite" 

Gandhi

6 .Remouille-moi la compresse ! (Samedi  09.07.1983)

Itinéraire : Serraval – La Clusaz – Cluses – Les Gets

Départ 7H30 am 

Distance : 100 km

Dénivelé positif : 2872 m - Dénivelé négative : 2455 m

Cols :

Le Marais (837 m) - Le Plan Bois (1299 m) - La Croix-Fry (1467 m) - Le Merdassier (1500 m) - La Colombière (1613 m) - Col de Châtillon (738 m) - Col des Gets (1163 m)

J’ouvre un œil. L’astre du jour s’ingénie à dessiner des arabesques sur le mur du chalet voisin.  Une belle journée en perspective! Je saute du lit. Après les moult avatars des jours précédents, puisse l'ultime étape du périple transcender le numéro en morceau d'anthologie ! Après une première traversée des Aravis sous la flotte, quel cadeau d’y repasser sous la caresse des rayons de soleil.  Une centaine de bornes à mouliner dans une région aux paysages sublimes avec un plan B en poche pour toute sécurité !  Tout au plus 6 heures de route.  Je vois la vie en rose, en jaune !  En bleu, blanc et à pois rouge ! 

Go, go, go !  En selle pour en découdre avec les sept derniers cols avant de recevoir la bise de ma miss gêtoise.  Me hâtant lentement, je fais l’impasse sur le p’tit déj’.  Errare hu…  Cette fois, c’est too much !  Ça devient trop con à la longue ce genre de fantaisie cucul la praline !

 Le décor est toujours aussi bucolique avec une vue imprenable sur la Tournette.

La veille, je m’étais imposé une minutieuse lecture de carte pour épingler le col du Plan Bois, qui à l’époque ne faisait pas courir les amateurs de bosses.  Étant donné que j’avais loupé deux grimpettes le jour précédent, je redouble d’attention et la descente se fait avec les yeux d’Argus, un œil sur le compteur kilométrique, un autre sur la route et un troisième scotché sur mon radar interne.  Le GPS n’est toujours pas commercialisé (désolé, c’est une redite !).  Vous n’êtes pas sans savoir qu’à l’époque le système de navigation par satellite relevait exclusivement du domaine militaire. Je quitte la départementale après le col du Marais pour une voie secondaire tortueuse qui me mène à Manigod via le col du Plan Bois et le Plan des Berthats.  Indépendamment de ma volonté, l’aventure m’y conduit par le versant le plus pentu, qui a fait l’étude d’une étude circonstanciée (cf. www.alpes4ever.com).  Détail sans importance puisque j’avais retrouvé le coup de pédale de mes beaux jours.  Mon carnet de route passe le col de la Croix Fry sous silence tant du point de vue aiguillage que déclivité, excepté une mention concernant la facilité d’accès au col du Merdassier.  Mon humeur est au beau fixe, je sens que je tiens le bon bout.

Une bonne demi-heure plus tard, j’entre dans La Clusaz, une station de ski à la mode grâce à Guy Périllat, une légende du ski dont j’avais suivi autrefois les prouesses.  Encore un dernier répit jusqu’à Saint-Jean-de-Sixt avant de gravir le plat de résistance de la journée.  À hauteur du Grand-Bornand, je réalise soudain que, j’ai omis d’ajuster régulièrement mon altimètre-baromètre en fonction des altitudes géographiques officielles.  Quelle erreur! (Les chiffres seront remis à jour plus tard !)

En attendant, je mouline allègrement sur les pentes méridionales du col de la Colombière.  Environ 700 m de dénivellation à gravir en moins de 13 km soit une pente moyenne de 5.5%, telle est l’équation à négocier.  Vraiment pas de quoi en faire un fromage !  Loin  de la foule, ça roule ma poule !  Sur la route de Chinaillon, à la sortie d’un lacet, j’aperçois un couple de cyclistes qui monte à la papa.  Effet immédiat !  J’ai les pupilles et les bronches qui se dilatent,  ma pression artérielle augmente et m’arc-boutant, j’enclenche le turbo et fonds sur le couple comme un pèlerin sur une créature du Bon Dieu.  Du coup, j’en oublie d’admirer le magnifique panorama sur les Chaînes du Bargy et des Aravis.

 "Exit ! Mercure sur sa roue ailée ! Vive le prédateur de la Colombière ! Je les dépasse.  Les déborde sans un salut.  Que dis-je, je les survole sèchement comme un pet sur une toile cirée.  "Chasse mon naturel à coups de pied, il revient toujours au galop !", d’autant que les remugles  d’écurie se précisent vachement.  Quatre kilomètres plus loin, rebelote. C’est au tour d’un cyclotouriste de se faire remonter. J'écrase les pédales a m'en faire péter les varices. Je trace comme un aigle royal ! À peine suis-je parvenu au sommet du col, qu’un couple de Bataves, médusé par ma fulgurance, vient à ma rencontre et me mouille la compresse pour ma mirobolante exhibition.

« Dites-donc, est-ce que vous ne vous êtes pas trompé de peloton ?  Le Tour de France ne passe que par ici dans 8 jours !!  Vous avez pris une sacrée avance.  Quoique cela ne nous étonne pas vu l’allure à laquelle vous avez grimpé le col, les autres doivent encore être sur la ligne de départ. »

Quel éloge !  Et encore, j’ai du bol que ces braves gens ne soient pas des Méridionaux sinon ils auraient embrayé sûrement à la mode d’Edmond Rostand sur une tirade homérique. Tu sais quoi ? Non, dis moi !  Mon style, pardi ! Si, si ! ( Mes hommages, Majesté!)  Place à l’expression d’un art abouti qui n'a rien a voir avec le charabia que je donne en pâture ! Oh que non ! c'est de mon profil " Deus ex machina " dont il est question, sire !

Bof ! me direz-vous.  On en a rien à cirer.  Ah non, c’est un peu court, les aminches !  Vous auriez pu dire … Ôdieux (Ô Dieux!) …bien des choses en somme…En variant le ton, - par exemple, tenez et accrochez-vous :

En bien tout honneur,

Dithyrambique comme Ferdi Kübler alias Cyrano pour son bel appendice : « Sportif du Siècle » en Suisse, il avait la répartie facile et, à la mise en garde du Ventoux par Geminiani, il répondit du tac au tac « Ferdi non plus, pas coureur comme les autres ».  Dès qu’on vous a vu, on s’est dit, ça n’est vraiment pas un cyclotouriste comme les autres.

Aérien comme Charly Gaul : nous avons cru voir un extraterrestre, un Ange de la montagne qui s’envolait sur des coussins d’air.

Farceur comme Roger Hassenforder : Roger le Fou formula un jour l’inoubliable vanne : « Des Bobet, j’en avais un dans chaque jambe ».  Pour vous, on penche pour des Coppi,  ça vous va davantage !   ! 

Agile comme Lucien Van Impe : c’est pas tous les jours qu’on voit un Ouistiti des Cimes  escalader des pédales ! 

Combatif comme Eddy Merckx : un instant, on s’est vu projeter sur la route du Tour lorsque le Cannibale rafla tous les maillots distinctifs.  Tous les prix. Toutes les coupes. Toutes les breloques.  On arrête ici le soliloque  sinon vous allez croire que vous êtes touché par la grâce merckxveilleuse !

Gouailleur comme Jean Robic : Biquet, qui ne reculait devant aucune gasconnade affirmait « J’accroche une remorque à mon vélo, j’y mets ma belle-mère et j’arrive encore premier en haut du col ». Quant a vous, dix contre un que vous l'auriez  fait avec un éléphant sur le porte-bagages !

Campagnard comme Raymond Poulidor car quand vous branchez les cornes, vous renvoyez vos congénères à la campagne pour une partie de chasse aux papillons. Impossible d’être plus Poupoulaire !

Racé comme Fausto Coppi : Quelle spectacle votre numéro, vous êtes un Campionissimo craché !

Ailé comme Federico Bahamontès : quel bonheur, à c’t’heure ! Le nouvel Aigle de Tolède est arrivé ! 

Appliqué comme Louison Bobet : « On n’abandonne pas au bas d’un col » déclarait Louison, le triple vainqueur du Tour de France.»  Bof ! Une assertion qui ne vous concerne pas puisque vous voyez la vie d’en haut.

Acrobate comme Peter Sagan : magistral, votre numéro de Free Wheel sur la fin du col !  Une exhibition digne du Tourminator 

Fidèle comme Gino Bartali dit le Pieux : kif un deus ex machina, vous donniez l’impression de déposer vos hommages aux pieds de la Petite Reine.

Gracieux comme Hugo Koblet : quel plaisir de vous voir pédaler !  Vraiment vous avez tous les atouts pour remplacer le Pédaleur de Charme !

Véloce comme Mark Cavendish : est-ce un rêve ? Il nous semble avoir entendu le double bang du mur du son lorsque vous avez placé l’accélération Cannonbal dans la dernière ligne droite.  

Hâbleur comme Raphaël Geminiani dit le Grand Fusil : « Si tu veux mourir sur ton vélo, alors meurs devant, mais pas derrière » proférait-il.  Pure jactance ou prophétie ? L’avenir nous l’apprendra !

Super Propre …   …   … ce qui n’est pas le cas de Richard Cœur de Lion , ni du Pirate

Ni toutes ces épithètes qui triquent et font la nique comme

Machiavélique, sarcastique, antipathique, caustique et chiatique, les 5 piliers de la foi du Boss,le Ricain quand il clamait à cor et sans cric « l’impossibilité de gagner un Tour de France sans dopage ».  Quant à vous, cher Grand Maître du Columbarium, vous êtes bien au-dessus de ces médiocrités puisque vous êtes le spécialiste du tout-à -l’eau-claire.

 Quel champion peut en dire autant ?  Ne cherchez pas, vous perdez votre temps !

Comme je fais roue libre sur le plan de la pensée, rien de plus simple que de tartiner recto verso la tirade tout en ayant les orteils en bouquet de violettes mais encore … rien de plus minable qu'une compresse trop mouillée ! J’arrête mon char ! Je sens que vous gonfle avec mes salades !

Par conséquent après ce brillant éloge, j’en suis toujours à me demander pourquoi mon nom n’est pas repris dans le temple du Hall  of  Fame  sous l’étiquette  "L’incorruptible Mr. Blanc de Blanc ".  

Bref !  Le compliment eut l’heur de booster mon ego !  À tel point d’en oublier de biberonner et de prendre des forces.  Descente sur Cluses (480 m), la capitale du Faucigny qui se blottit dans la vallée de l’Arve.  La cité, connue pour son horlogerie, ne scotche pas mon attention et la traversée se fait à tombeau ouvert.  Moins de 3 km en amont, à hauteur du lacet du Clos d’Aulps, je me retrouve parqué comme Mathieu VDP (le petit-fils de Poupou !) lors du dernier championnat du monde cycliste en Angleterre.  La fringale m’a rattrapée.  J’ai l’estomac calé au fond des talons.  Il eût mieux valu avoir l’étalon dans l’estomac comme disait le papa de Zazie .  Les deux tartiflettes englouties un peu plus tôt ne font aucun effet !  N’y a plus  qu’à aller aux fraises !  Et me v’là en train de ratisser le bas-côté de la route à la recherche de petites baies rouges !  Chemin faisant, je rêve d’une "Venta alpine" perchée au sommet du col de Châtillon-sur-Cluses !  Hélas, ne me demandez pas si c’est du lard ou du cochon, ma mémoire fait relâche à ce propos !

Courte descente sur Taninges (610 m) et ultime montée au col des Gets.  Le baroud du bonheur !  Les derniers 540 m de dénivelé à franchir en 12 km kif le Télégraphe.  À la différence près, c’est qu’ici je termine en fumant la pipe.  Sans être un exploit hors du commun, le périple aura néanmoins été une entreprise musclée qui exigea un mental solide.                                                                                                                                                  

Évasion, émotions, Grand Frisson !


 

"Les  meilleurs moments de la vie, c’est quand on est tout seul"

  Pierre Dac

Sprint Final

Un amateur éclairé de la Savoie aura observé que bien des symboles qui font la poésie de la région ont été éludés tels que tarine, clarine, reblochon, lis martagon, gentiane, clocheton à bulbe, tome, Beaufortin, tartiflette, Aravis, etc.  Autant d’emblèmes nécessaires pour une bonne évocation de la Savoie.

Toutefois, je rappelle que le but de la randonnée revêtait un caractère exclusivement sportif faisant fi du point de vue contemplatif.  Emmagasiner des images n’était pas à l’ordre du jour !

D’autre part, un grand nombre de sportifs diront que cette randonnée ne casse pas trois pattes à un canard.  Tout à fait d’accord !   Mais comme tout est relatif, ce qui est aisé pour l’un ne l’est pas pour un autre.   La cure de santé de Pierre devient calvaire pour Jacques alors que la partie de plaisir de Paul signifie une descente aux enfers pour Pierre.  Au diable la discutaillerie pour une simple et bonne raison !  Finalement, ce ne fut pas le défi le plus difficile mais bien la montagne de débrouille que le plouc à deux mains gauches à dû déployer pour éviter le naufrage d’une part, et par ailleurs, les violents maux de genou assujettis à des moments de délabrement interne qu’il lui a fallu surmonter, sans aucun soutien, aux moments les plus sensibles du périple.  Sans compter la bise (de Judas) qui soufflait en permanence de face !  Quid la panacée ?   

La formule gagnante :

« Ne vous occupez pas d’autrui, faites-vous plaisir comme bon vous semble »

« Le silence est un beau langage » 

S-A


 

Printemps 2020

(d’après mes notes de 1983)

Chronique rédigée le 05 mai 2020

43me jour de confinement provoqué par la pandémie du Coronavirus COVID-19  

Décès sur la Terre  : 252 000      Contaminés : 3 580 000

Décès en Belgique :    8 016       Contaminés :       50 509

 

bruffaertsjo@skynet.be

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