José Bruffaerts       Ecrivain Public

 

 

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La peinture expliquée

 
 

 

En fin d’exposé, une carence m’est apparue.  Je me suis rendu compte que j’avais passé un point capital sous silence, à savoir faire la distinction entre une toile d’un peintre et un ouvrage littéraire.
Oui mais… !  Peut-on seulement expliquer une œuvre d’art ?
Dans un premier temps, cela semble impossible puisqu’une œuvre d’art reste irréductible à une expression rationnelle.  Toutefois, si on la considère comme la résultante d’un ouvrage, il est possible d’apporter partiellement un début de réponse, ce qui ne veut pas dire nécessairement compréhension.  Expliquer n’est pas comprendre !
Alors, un peu d’humilité et contentons-nous de les regarder.  Pas simplement les voir car voir n’est pas synonyme de regarder.  Pour ce faire, il faut avoir l’esprit ouvert et faire appel à son intelligence.  Regarder un tableau, c’est aller à la découverte d’un autre monde.  Le propre d’une œuvre d’art est de faire appel à l’imagination que Paul Klee résumait d’une tirade magistrale : « L’art ne reproduit pas le réel, il le rend visible ».

Les fonctions, l’objet d’une œuvre d’art et le rôle de l’artiste ne sont pas immuables, ils varient selon l’époque et le contexte social.  Le même sujet, peint avec un décalage de deux décennies, aura un tout autre look, un sens tout autre.  En plus, il y a un monde de différence entre l’art moderne et l’art classique.  Avec l’invention de la photographie, les artistes modernes vont valoriser la fonction créative de l’art par rapport à l’imitation.  Quant aux Anciens, en plus des portraits commandités par leurs mécènes, ils ont souvent choisi des thèmes mythologiques (ex : La naissance de Vénus de Botticelli) et des épisodes bibliques (La Genèse de Michel-Ange) comme sujets qu’ils développaient dans un style narratif. 

A ça, il y a encore lieu d’ajouter la représentation d’un événement historique (ex : Marat assassiné de David) ou le prêche sous forme de BD (Les Proverbes Flamands de Breughel l’Ancien).  Le tableau se substituait au livre en quelque sorte pour raconter une histoire à des gens qui étaient souvent analphabètes.  C’était aussi le procédé idéal pour enseigner une morale.  Une méthode tout aussi efficace pour se moquer des travers du peuple.

Voici trois exemples parmi la centaine de proverbes et de dictons qui illustrent le tableau de Pieter Bruegel l’Ancien.

Cf. Partie supérieure gauche (toit de la maison)

-Vivre dans l’abondance-
Les galettes poussent sur le toit. 

-Vivre sous le balai-
Par la lucarne, on distingue un couple qui vit ensemble hors des liens du mariage.  Le balai, suspendu à l’extérieur, signifie que les maîtres sont absents. 

-Tricher aux cartes-
Un gredin, arborant un chapeau coloré à pompon blanc, triche aux cartes tout en déféquant simultanément sur un globe terrestre sous la fenêtre.
Cette représentation regroupe en fait trois pensées :
1. Les fous reçoivent les meilleures cartes. (Aux innocents les mains pleines)
2. Le personnage chie sur le globe. (Mépris du monde)
3. Le globe à l’envers. (Le monde fait le contraire de ce qu’il devrait). 

En résumé, pour tout observateur averti, chaque tableau représente donc un voyage.  C’est une exploration captivante  de l’esprit qui diffère à chaque fois d’un témoin à l’autre  à l’inverse du dénouement d’un livre qui  est identique pour tous les lecteurs,  Chacun a le droit d’apporter à une œuvre d’art ce qu’il veut y puiser en fonction de son expérience.  Mais de nombreux tableaux emploient un langage symbolique complexe dans lequel les objets identifiables symbolisent des idées et des concepts abstraits. Ce qui me fait dire que mon allusion aux grands maîtres cités dans l’introduction de mon analyse est réduite.  Aussi, me semble-t-il légitime d’y apporter un complément d’information.

Claude Monet 

De nombreux artistes peintres ont pris leurs enfants comme modèle. Claude Monet en revanche ne s’inspira que très peu de son entourage immédiat. Aussi était-ce une bonne occasion pour mettre ce chef d’œuvre en évidence.  Pour un enfant, servir de modèle ça n’est jamais une sinécure.  Plusieurs enfants modèles ont laissé des témoignages écrits, d’autres en ont parlé nous révélant que l’attrait du jeu et les petits copains l’emportaient le plus souvent sur cette marque de tendresse voulue par l’artiste.  Aussi n’est-il pas étonnant que si certains enfants aient posé de bon gré, d’autres dans l’indifférence, il en est plus d’un qui l’ait fait à contrecœur comme cela se voit sur le visage de Jean.  Maintenant, peindre un enfant n’est pas de tout repos.  Certains artistes en ont parlé dans leurs souvenirs, toutes sortes de stratagèmes ont été utilisés pour les faire tenir tranquilles.  Une des ruses les plus courantes utilisées par les parents artistes consistait de distraire l’enfant à l’aide de l’un de ses  jouets préférés comme le cheval de bois dans le cas de figure.
Tout compte fait, les histoires de famille sont souvent des histoires d’incompréhension.
A noter cependant qu’en retrait du modèle, l’artiste met déjà des géraniums en évidence ce qui annonce sa passion pour les jardins et celui de Giverny en particulier

Fernand Léger 

Quant à la série des « Cyclistes » de Fernand Léger, un artiste-peintre hors du commun considéré comme le précurseur du pop art et du néo-réalisme, elle a certainement suscité la passion pour la pratique de la « Petite Reine » à plus d’un contemporain.  Certaines de ses toiles, comme « Les Loisirs sur fond rouge » ont même inspiré des artistes tels qu’Ivan Sigg qui en a fait une analyse très personnelle.  L’artiste est à découvrir sur : http://www.ivan-sigg.com

Préférant laisser à l’auteur la paternité de ses lignes, je me limiterai à citer un passage que je laisse à l’appréciation du lecteur. Que pense ce peintre non conventionnel  de ce chef d’œuvre ?  Au lecteur de juger cette approche très critique. Après une observation et une description minutieuse des aplats, du sujet et des personnages, il examine, épluche, décompose et étudie les objets comme un médecin légiste. Il en déduit une géométrie particulière que je vous livre in extenso :

« Divisons la toile en quatre bandes verticales, dans la première à gauche on croit voir un vélo accroché à une barrière. En étant vraiment attentif on comprend que le vélo est totalement démantibulé et impossible. Est-ce une sculpture surréaliste (voir Picasso, Ernst, Giacometti) avec l’axe décentré de la roue arrière, la selle accrochée au pneu et le guidon fantaisiste ? Est-ce les ruines de la guerre avec le V de la fourche qui s’élance vers le ciel comme une traînée de forteresse volante qui s’écrase ? Ou deux rails vers les camps ? Ou comme le V de la victoire contre le nazisme ? Explication renforcée par les cailloux/crânes posés au premier plan (étonnant échos d’une tradition de la peinture Renaissante, période rejetée pourtant par Léger). Enfin, ce sont peut-être les conséquences d’une terrible chute à vélo contre une barrière (tronc d’arbre horizontal, pilier de ciment jaune et deux barres métalliques), sentiment renforcé par la jeune femme au sol ? Nous ne pouvons pas faire l’économie de toutes ces questions qui naissent d’une observation aigue de la totalité de l’œuvre. Le deuxième vélo paraît beaucoup plus « normal » au premier regard, mais il se révèle lui aussi totalement impossible : axe décentré de la première roue, pédalier non relié à la fourche, roue arrière qui devient barre transversale.
Sommes-nous aveugles ? La chose la plus incroyable, c’est que ce vélo participe d’une vieille blague populaire graveleuse que personne ne voit, car elle s’affiche de façon obscène, juste là, énorme, sous nos yeux. Regardez la femme à demi allongée et la roue du deuxième vélo qui se glisse entre ses cuisses… N’avez-vous jamais entendu « sa raie est un parking à vélo » ou pire « sa fente est un garage à b… », hypothèse doublement confirmée par cette longue tige blanche et courbe qui disparaît entre ses cuisses et qu’empoigne l’homme en jaune. (Léger était fils d’éleveur normand. Il était connu pour son franc-parler et nommé « la brute magnifique »).
Nous avons donc affaire à deux idées de vélo, voire à tout autre chose que des vélos. Ces tubes blancs courbés qui s’entremêlent avec les membres gris des personnages peints comme des tuyaux de gouttière en zinc sont, pour le peintre, des métaphores plastiques puissantes qui disent à la fois le sexe, le métal, la chair, l’objet industriel… toute la confusion créatrice de l’après guerre.
Le fond et le titre. La totalité du ciel est rouge.
« Loisirs sur fond rouge » du sang des millions de morts de la guerre ?
« Loisirs sur fond rouge » du drapeau du communisme français de l’après-guerre ? De la révolution russe et de Staline qui sort grandit de la guerre ?
« Loisirs sur fond rouge » du désir qui monte?
C’est sans doute tout cela à la fois, mais cette lecture fine du tableau nous montre que l’on ne peut en rester à une simple représentation des loisirs balnéaires dans l’après guerre.

Nous ne pouvons nous débarrasser des « erreurs de représentation » en disant soit que « c’est la liberté du peintre de refuser une représentation naturaliste (mimétique) du monde », soit que « Léger ne sait pas dessiner ». Il faut savoir que Léger se réfère tout le temps à David et Ingres pour le dessin et Cézanne pour la peinture, et qu’après avoir souhaité devenir architecte et raté son entrée aux beaux arts il a reçu une formation des plus classiques dans les académies du soir comme La Grande Chaumière. Pour simplifier, sa peinture paraît naïve comme celle du douanier Rousseau, mais il y a une grande maîtrise du geste et rien n’est laissé au hasard.

Henri  de Toulouse-Lautrec 

Ce n’est pas sans raison que j’ai associé ce génie tourmenté, alcoolique, syphilitique et aristocrate dépravé fréquentant les maisons closes à ma rétrospective cycloartistique.  Il est un des premiers artistes à introduire une dynamique simultanée de gestes et de mouvements. Passionné de cirque, l’auteur nous en fait la démonstration dans « L’Ecuyère » où par un effet d’opposition, l’arrière plan des spectateurs ne sert qu’à renforcer le dynamisme de la scène qui se joue sur la piste.
En plus, ce peintre de la Belle Epoque du Paris by night mérite le titre de « père de la publicité moderne ».  Comme exemple, il suffit d’évoquer l’affiche de « la Chaîne Simpson ».  Grand dessinateur, portraitiste et caricaturiste, cet artiste inclassable devint un amoureux platonique de la « Petite Reine », une discipline lui étant interdite à cause de la fragilité des ses jambes. Il fréquenta assidument les vélodromes parisiens grâce à Tristan Bernard qui était directeur technique du vélodrome Buffalo.  Avec « Bruant à bicyclette », il s’attache à rendre l’équilibre précaire du cycliste et la rapidité du trait qui suggère la vitesse de ce nouveau moyen de locomotion.

Kees Van Dongen 

Kees Van Dongen s’inscrit en toute logique dans la lignée de Toulouse-Lautrec.  Lui aussi va s’immerger très vite dans la vie parisienne de la Belle Epoque.  Toutefois, à l’inverse d’Henri, la « Petite Reine » ne sera pas un sujet qui aura l’heur de l’inspirer.
Y a-t-il un lien de cause à effet avec le lieu de sa naissance ?  Allez savoir !  Né à Rotterdam, il eut été normal qu’il fût tombé dans la marmite à vélos ?  Eh bien non, pas le moins du monde !  Quoique par-dessus le marché, il ait compté Maurice de Vlaminck parmi ses bons amis.  Or ce dernier était un passionné de vélo puisqu’avant de se lancer dans la peinture, il avait été tout à tour coureur cycliste professionnel, ouvrier dans un atelier de vélos avant d’embrasser avec succès différentes carrières artistiques. Et c’est probablement lui qui résume le mieux la personnalité de Van Dongen en disant qu’il a été l’historiographe de tout le dévergondage cynique d’après la Grande Guerre.
Quant à Vauxcelles, un critique d’art influent, il en rajouta une pelletée  en 1921 :
« Van Dongen est devenu l’historiographe des filles, des éphèbes, de toute la lie, de toute la tourbe des femelles faisandées et de leurs amis crapuleux ».
Du coup, le Batave asseyait une bonne fois pour toute sa réputation de « peintre des névroses galantes ».  A sa décharge, il faut reconnaître que ce portraitiste mondain ne chercha jamais à sonder l’âme de ses sujets.  Il se contentait de les reproduire.  Ce qui est loin d’être le cas de Bernard Buffet.


 

Bernard Buffet 

Avec  cet expressionniste, qui obtint la notoriété dans les années cinquante, on entre de plain-pied dans le monde du mal-être, des drogués et des buveurs.  C’est l’époque de l’après-guerre, celle des boîtes de nuit, du cynisme, de la sensualité et de l’oisiveté.  L’existentialisme,  l’Absurde et la réhabilitation de la pensée kierkegaardienne.  Le surréalisme plafonne. C’est l’époque des Jacques Chazot, Juliette Gréco et autre Françoise Sagan.   Saint Germain-des-Prés et le Café de Flore s’imposent comme le nombril intellectuel de Paris.  Bref, les accros à la chnouf, les écorchés vifs, les lézardés du plaftard, les tourmentés de la coiffe, les refoulés, les masturbés du bulbe et les secoués du bocal deviennent les maîtres incontestés du pavé.
Le vélo n’est plus un sujet à l’ordre du jour.  Aussi est-ce « Le Buveur » qui propulse le peintre sur le devant de la scène artistique parisienne.  Les articles et les reportages vont bientôt se succéder.  La presse ne parlera plus que du « Phénomène Buffet » mais ne retiendra en fin de compte de ce peintre jugé misérabiliste, que sa réussite financière et commerciale.
Beaucoup plus tard, Annabelle, sa muse, dira de lui : « Entré en peinture comme on entre en religion, il a trouvé une terre d’asile, son atelier ».


 

Salvador Dali  

Quant au dernier personnage de la série, il a fait de l’excentricité son pain quotidien.
Mais comment en aurait-il pu être autrement pour un artiste surréaliste dont le propre était justement de contester l’ordre des choses ?  Aussi, le vélo, un engin ne vivant que par le mouvement et défiant l’équilibre des lois de la logique, le fascina-t-il.
Lors d’une visite de Luis Buñuel à Cadaquès, les compères décidèrent d’élaborer un scénario.  Bouclé en 3 jours, « Babaouo », un projet débordant de délire, fit toutefois long feu.
Une autre lithographie, ressemblant étrangement à l’affiche de Babaouo, m’a également interpellé. En l’occurrence, « la Symphony Bicyclette », un projet qui capota tout aussi lamentablement. Le tableau, né de la rencontre de Salvador Dali avec Harpo Marx, aurait dû être l’affiche d’un film burlesque interprété par les Marx Brothers intitulé « Giraffes on horseback ».  Une comédie apocalyptique sur fond surréaliste dans lequel Harpo Marx (harpiste de formation) jouait le rôle de Néron.
En début d’appendice, je soulignais qu’un tableau pouvait faire l’objet de mille interprétations, les unes plus farfelues que les autres.  Toutefois, chez Dali, ce n’est pas évident car celui-ci utilise une panoplie de symboles qui relèvent de la psychanalyse freudienne.

Description de la scène selon Dali  

La litho représente un nombre incalculable de cyclistes qui s’affrontent dans une épreuve de « sur place » en tenant une pierre en équilibre sur leur tête.  Tous les cyclistes sont barbus.  Au centre, une tour en forme de proue de bateau fait office d’arbitre de chaise.  A noter que toute la végétation s’embrase avant que le spectacle ne commence, ce qui empêche les spectateurs d’être distraits.  La vue depuis le haut de la tour est magnifique.  Encadrée des fumerolles qui s’envolent, une centaine de cyclistes se faufilent sous un soleil couchant en toile de fond.  Dans la tour, Harpo complètement déjanté joue de la harpe comme un Néron des Temps modernes.  A ses côtés, Groucho fume tout en tournant nonchalamment le dos au spectacle.  Tout près de là, couchés côte à côte, la « Femme surréaliste » et Jimmy regardent le spectacle.  A l’arrière plan, on voit Chico revêtu d’un costume de plongée qui accompagne Harpo au piano.  Eparpillé dans l’allée qui mène à la tour, un orchestre interprète la partition de musique avec une fougue wagnérienne. 

Interprétation de la litho selon les critiques d’art 

Symphony Bicyclette  est une utopie cosmique qui a déjà eu lieu ou qui doit encore avoir lieu ! Elle est considérée comme un archétype dalinien débordant d’énergie à tous points de vue.
Invitation à glorifier nos rêves - car  le triomphe de l’humanité doit nécessairement passer par eux -. Symphony Bicyclette est une définition picturale du surréalisme où le subconscient est autorisé à errer, en toute liberté, sans les restrictions qui lui sont imposées par la normalité, le rationnel et le monde bien pensant qui l’entoure.

En vertu de ce postulat, l’observateur à carte blanche pour envisager les interprétations les plus folles. 

En voici donc ma démonstration personnelle. 

Isolons le sujet du contexte dalinien et transposons-le au XXIe siècle.  Bien que je ne tienne pas à jouer les Cassandre, Symphony Bicyclette ne m’inspire pas un happy end.  Loin s’en faut ! Analysons le sujet en détail.
Le dessin comporte trois éléments essentiels : une énorme proue de bateau qui sert d’estrade à un orchestre, une multitude de cyclistes et un arrière-plan de lignes de soleil éclaté encadré de rouleaux de flamme et de colonnes de fumée.
Le bateau, qui accapare plus d’un tiers de la composition, affiche de par-delà même une connotation de superbe et de suffisance. Les musiciens jouent d’une manière très décontractée, voire nonchalante.  En outre, le bateau s’engouffre résolument entre les deux murs en feu.  J’associe cette image au Titanic, le paquebot transatlantique britannique considéré à l’époque comme insubmersible.  Il devait être au-dessus de toutes les mêlées.  Bernique !  Ça ne l’empêcha pas de faire naufrage et d’être une des plus grandes catastrophes maritimes de tous les temps.
Le second tiers est une immense mer formée par une troupe de cyclistes.  Ces derniers sont tout à fait statiques.  L’inertie est renforcée par la pierre que chaque cycliste porte sur la tête et qui donne l’effet d’une mer dormante.  Une mer sans danger ! Un tableau qui inspire donc la tranquillité, la sérénité et l’absence de conflit.
Or, la mer est en perpétuel mouvement tout autant que la bicyclette dont c’est la raison d’être.  De plus, un élément perturbe ce bel ensemble à savoir que les cyclistes sont tous barbus, sans une exception.  J’associe cette image à une armada de piranhas qui fourbissent leurs dents en silence et qui attendent, avec patience,  de s’engouffrer en masse dans une brèche de la coque du navire pour en bouffer l’idéologie occidentale.
Quant à la toile fond, il n’y a pas photo.  Les rayons du soleil levant montrent le cap à suivre au bateau qui se faufile entre fumées et flammes, une véritable furia paroxysmique.  Ce sont les seuls couleurs de la peinture réalisée en noir et blanc.  Ici pas de doute ; c’est une allusion à la vieille vision apocalyptique du monde depuis des millénaires. N’oublions pas que le judaïsme, le christianisme et l’islam prédisent tous une apocalypse pour racheter l’homme de ses fautes. 

Conclusion de mon interprétation : « l’Occident court à sa perte.  De par son laxisme et de par son insouciance, elle fait le lit des islamistes-fondamentalistes qui n’attendent que leur jour de gloire pour écraser l’hégémonie occidentale. »  

Marina Sissa, une peintre italienne citée en début de dossier, oppose une tout autre explication à ma vision cafardeuse.  Notons par ailleurs qu’elle dissocie le vélo du mouvement qu’il engendre.  Elle le considère néanmoins comme faisant partie intégrante de l’homme.  Aussi comme un moyen de voir la vie autour d’elle et parfois à des fins écologiques.
(cf.  http://digilander.libero.it/ie/index.html

«  Per me, la spiegazione dell’opera Sinfonia Biciclette è :

Gli uomini in bicicletta mi sembrano tante formichine (uomini) che vanno di qua e là per sopravvivere, hanno sulla testa la pietra per rappresentare il peso del "vivere" e la barba per indicare la "pazienza" infatti fanno tutto questo senza fretta senza una meta precisa,  l'importante è esserci senza capire dove andiamo, perchè siamo al mondo, l'importante è "pedalare" cioè vivere. La nave con i suoi ospiti rappresenta  l'arte, la musica, l'ideologia che è un pò la salvezza, un modo per "scivolare" sulle onde della vita, rifugiarsi in questa "idea" o "ideale" ci rende la vita più vivibile, con uno scopo, sai che devi andare avanti verso il sole sapendo che dovrai attraversare anche il fuoco (che però anche lui si apre per farti passare), ma però probabilmente dovrai scivolare sopra gli uomini in bicicletta e quindi calpestare la monotonia devi andare "oltre". 

En résumé, voici ce que Marina en déduit :
« La vie est un long fleuve incertain et monotone.
Nous sommes tous obligés de passer par là.
Le meilleur moyen de surfer sur cette platitude, c’est de se réfugier dans l’art. »
 

L’artiste ajoute également que l’interprétation varie selon notre état d’âme du moment.

Allez zou ! Ça me donne l’occasion de revoir ma copie mais en plus joyce cette fois-ci c’est-à-dire griffé San-Antonio, le prodigieux et extraordinaire commissaire de la rousse de Pantruche, le number ouane du surréalisme de la menteuse.
 

"Matez un peu le barlu ! En guise de matafs, ce sont des musicos qui squattent le haut du pont.  Et au lieu d’y faire du foutinge, les gus usinent une mélodie avec des airs de songer à autre chose. Çui de la contrebasse à corde, surtout.  En effet, l’aminche Chico Tavirez Tagonsès tourne le dos à l’orchestre  ce qui lui donne l’air d’avoir oublié de tirer la chasse d’eau des vouatères avant de partir.
Brèfle, une symphonie plus désharmonisée que ça, tu clamses. Tu gommes ton extrait de naissance. Tu raies ton pedigree.  Capito !
Question à cent balles pour les abrégés et les licencieux en zizique ! Pourquoi ceusses, qui interprètent un concert, ont-ils toujours des airs de se peler les roubignolles en jouant ? 
Quant aux  cyclos, ils pédalent tous en facteur ce qui est tout aussi débandé. Ça roule dans tous les sens, le cœur dans les étoiles et le chef lesté d’un poids mort ! En smokinge et pompes vernies, siouplaît !  A croire qu’ils ont déteint sur les musicos. L’ensemble donne l’effet bœuf d’un rafiot qui se fraie un chemin dans une mer des Sargasses. A la différence qu’ici les murs de flammes remplacent les algues carnivores et les cyclos relayent les épaves flottantes.
La lumière, sous forme d’un soleil éclaté, arrose la toile de fond à tout vat. En fait, une simple étincelle suffirait pour  ouvrir de nouvelles perspectives surtout quand on regarde le topo avec des yeux à moitié fermés ou à demi-ouverts, selon qu’on soit optimiste ou pessimiste".

Cette fois-ci, j’opte pour le côté jardin : « Je vois donc une nouvelle Santa-Maria, quoique quelque peu blasée, en quête de grandes espérances» 

Toujours pas convaincu ?   Qu’à cela ne tienne !  Je peux encore vous donner en pâture  une variante ubuesque, voire un développement rigoureusement cartésien, si vous insistez !  Mais à quoi bon ces laïus.  N’est-ce pas mon illustrissime concitoyen et visionnaire René Magritte qui claironnait à la cantonade :

 « Les titres des tableaux ne sont pas des explications et les tableaux ne sont pas des illustrations des titres ». 

Quant au mot de la fin, je le cède volontiers à Jonas Wille, un artiste plasticien et ancien directeur d’académie à la base de nombreux projets.

A découvrir sur http://www.jonaswille.be/

Incontestablement la valeur ajoutée de ce témoignage, c’est que l’artiste est un cycliste convaincu.  Aussi afin d’éviter de dénaturer la pensée de Jonas, il me paraît correcte de reproduire son commentaire in extenso. 

Bij Dali -als supraradicale surrealist- ziet men nooit wat men denkt te begrijpen (of, begrijpt men nooit wat men ziet, dit is vergelijkbaar met de huidige uitdrukking W.Y.S.I.N.W.Y.G.)
De kracht van Dali is zijn creatief en picturaal vermogen dat sterk beïnvloed is door onvoorspelbaarheid en onberekenbaarheid; bijgevolg is de twijfel omnipresent.

Vandaar dat een éénduidige lezing en/of interpretatie onmogelijk is : ça roule dans tous les sens.
(Dit is tegengesteld aan de reële fietser -degene die levensecht met zijn fiets op de baan rijdt- want die moet een bepaald circuit volgen en kan/mag er niet vanaf wijken; zoniet komt men in Tatiaanse burleske toestanden terecht...) 

Zouden de fietsers bij Dali statisch zijn? Dat is vooralsnog te betwijfelen
Zou het een steen zijn dat de fietsers op hun hoofd dragen? Dat is ook onzeker > het zou ook boter kunnen zijn?
 
Mijn mening over die Symphonie van Dali: sans aucun doute Magritte a raison.
«  CECI N'EST PAS UNE BICYCLETTE... »
 

En résumé, Jonas nous explique que l’art de Dali est imprévisible et inexplicable d’où une multitude de significations pour une même œuvre.  Cet état est en complète contradiction avec le cycliste qui lui doit se conformer à un pragmatisme omniprésent sous risque de tomber dans une situation acadabrantesque, loufoque et irréelle.
Fidèle à ses convictions, Jonas conclut sur une pointe d’humour magrittienne :

« Ça roule dans tous les sens sans qu’il ne soit question pour autant de bicyclettes ».  

Une conclusion acceptée par l’ensemble des artistes en fin de compte,  ce qui confirme par conséquent  qu’il n’y a aucune explication à donner à la peinture. 

C.Q.F.D.

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